Femmes > Santé > Nutrition-Digestion >  Interviews > Jean-Michel Cohen
Interview
 
Juin 2007

Jean-Michel Cohen : "J'ai voulu montrer une autre facette des régimes"

Le célèbre nutritionniste Jean-Michel Cohen publie "Le roman des régimes". Son ouvrage plonge le lecteur dans le quotidien de malades atteints de troubles alimentaires, soignés au sein d'une clinique qui ressemble fort à celle de Montevideo, où officie le médecin.
  Envoyer Imprimer  

description brève de l'image
 
© Arnaud Février/Flammarion
 
"La solidarité entre les patients joue un grand rôle"

Pourquoi avoir choisi la forme du roman plutôt que celle d'un guide didactique ?

Je crois qu'aujourd'hui, en termes de régime, les choses sont bien connues. Beaucoup de ce qui paraît est une exploitation bas-de-gamme et commerciale de la détresse des gens. Il m'a semblé qu'il fallait montrer une facette plus humaniste des choses, dire qu'il y avait autant de régimes que d'individus.

Les personnages sont bien sûr basés sur des gens que j'ai connus à la clinique. Les repas hebdomadaires où ce sont les patients qui cuisinent existent réellement aussi. Je m'y joins régulièrement, comme dans le livre. Ecrire m'a permis de retranscrire les émotions qui traversent les patients et les médecins dans ce genre d'endroit.

Dans le roman, on assiste à la guérison spectaculaire d'une boulimique, d'une anorexique et d'une obèse morbide. Les guérisons peuvent-elles survenir aussi brusquement dans la réalité ?

Oui, très souvent. J'ajouterais un bémol en ce qui concerne les anorexiques car elles ne sont jamais totalement tirées d'affaire, il y a toujours un risque, même minime, de rechute. Mais pour les boulimiques et les obèses, oui, on peut les guérir brutalement.

L'important est d'assurer une prise en charge globale du problème. C'est pourquoi je m'attache à offrir à mes patients, en même temps qu'un régime adapté, un exercice physique pour augmenter la dépense d'énergie et une psychothérapie. Mais j'insiste sur le fait que ce n'est pas cette thérapie qui leur permet de guérir dans un premier temps. Nous faisons usage de psychotropes, qui permettent de régulariser les habitudes alimentaires, avant d'aller soigner l'âme plus profondément.

La solidarité que l'on peut constater entre les patients, en clinique, est également primordiale. Cette symbiose est l'une des composantes de la guérison. Chacun est le miroir des autres, de leurs propres doutes et douleurs.

Parmi les pathologies abordées dans votre livre, laquelle ou lesquelles sont les plus difficiles à guérir ?

Sans aucun doute, l'anorexie puis l'obésité morbide. Dans le cas des anorexiques, parfois, il n'y a pas de perméabilité, c'est-à-dire qu'on ne parvient pas à les atteindre. Elles (la majorité des anorexiques sont des femmes, d'où l'emploi du féminin, NDLR) sont figées dans leur anorexie et l'on ne peut rien faire. On n'a alors que deux solutions : si la vie de la personne est en danger, on peut procéder à un "gavage" de force, mais ce n'est jamais souhaitable. Autre solution : elle sort de la clinique.

Lorsqu'il y a guérison, elle survient en général avec la reprise de poids, qui entraîne une reprise de l'activité physique et psychique. Souvent, cette guérison se fait en marches d'escalier, avec des paliers où il n'y a pas de progrès, puis des avancées rapides. Mais pour que cela soit durable, il faut qu'il y ait un changement dans la vie des gens. S'ils retournent à leur ancienne vie, sans rien modifier, la situation risque de perdurer. Le taux de guérison est variable selon la durée de l'anorexie. On guérit pratiquement toutes patientes malades depuis moins de 2 ans. Entre 2 et 5 ans d'anorexie, on en guérit la moitié. Au-delà, c'est très rare d'y parvenir. La maladie devient alors chronique et ces femmes survivent plus ou moins bien. Souvent, elles ont moins de carences qu'on le croit, car ce sont des expertes en matière de nutrition.

 

L'anorexie laisse-t-elle des séquelles ?

Oui, il reste toujours une trace, au moins psychologique, mais aussi physique si ça a duré. Elles ont souvent acquis une grande force de caractère. Physiquement, elles peuvent être devenues infertiles ou avoir des problèmes intestinaux.

"L'anorexie laisse toujours des séquelles, au moins psychologiques"

 

Qu'en est-il de l'obésité morbide ?

C'est une maladie très déprimante car c'est un cercle vicieux : plus on grossit, plus on devient sédentaire, moins on a de dépense énergétique et donc plus on grossit… Il faut rompre cela très rapidement, en mettant en place un programme d'activités physiques. Bien sûr, il faut des installations adaptées. Je préconise beaucoup de séances de piscine, car l'obèse se trouve alors soulagé de la moitié de son poids.

Dès qu'il y a une activité physique, le patient peut fondre de façon impressionnante. La réadaptation n'est pas si difficile qu'on le croit, parce que les obèses ont souvent

développé une importante masse musculaire pour pouvoir déplacer leur poids.

Mais il faut aussi rompre avec les pulsions alimentaires, qui caractérisent la plupart des cas d'obésité morbide. Il s'agit d'une addiction comparable à une addiction à la drogue. Certains sont capables d'avaler 14 tubes de mayonnaise pendant la nuit ! C'est dans ce genre de pathologie que l'on utilise le plus les psychotropes, pour rompre avec cette dépendance. Le taux de guérison est important, mais le taux de rechute est impressionnant lui aussi…

En France, la prise en charge des personnes souffrant de troubles alimentaires est-elle satisfaisante ?

Non. Peu d'endroits offrent une prise en charge globale, à la fois nutritionnelle, physique et psychique. C'est pourtant primordial pour la guérison de nos patients. Dans certains pays nordiques, on commence à développer des centres de prise en charge pour les enfants mais aussi de prévention avec les parents. Aux Etats-Unis, il y a de plus en plus de cliniques spécialisées dans les problèmes de poids, mais les Américains doivent composer avec leurs mutuelles (ou absence de mutuelle) et le système de santé onéreux.

Je pense que tout cela va changer progressivement, car on est en train de réaliser qu'il y a véritablement un problème : plus de 11% de personnes obèses et 40% à 50% de la population sont en surpoids en France.

En savoir plus

Sur L'Internaute Santé

Yves Simon : "C'est dans la phase de reprise de poids que l'enfant anorexique est le plus fragile"

 

description brève de l'image

"Le roman des régimes"

Docteur Jean-Michel Cohen

Editions Flammarion, 380 pages, 19,90 €.

Consulter les librairies


Magazine Santé Envoyer Imprimer Haut de page
A VOIR EGALEMENT
Votre avis sur cette publicité

Sondage

Quelle est la mesure la plus efficace pour baisser la consommation de tabac ?

Tous les sondages