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INTERVIEW
 
Avril 2007

Yves Simon : "c'est dans la phase de reprise de poids que l'enfant anorexique est le plus fragile"

Peut-on résumer l'anorexie à un refus de la féminité ? Les parents sont-ils coupables ? Doit-on forcer un enfant anorexique à manger ? Le Dr Simon nous éclaire sur ce mal dont on parle tant et que l'on connaît encore mal.
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Dr Yves Simon
  • Le Dr Yves Simon est psychiatre et directeur du programme anorexie/boulimie au Domaine, Université Libre de Bruxelles, Belgique.

L'anorexie peut-elle se définir comme une perte ou un manque d'appétit ?

Bien que le terme anorexie signifie éthymologiquement "perte d'appétit", c'est rarement le cas. Les anorexiques luttent surtout contre la sensation de faim. Elles tentent de contrôler leurs envies de nourriture. Il y a d'autres symptômes comme la peur irrationnelle de grossir et l'arrêt des règles. Et malgré des symptômes de dénutrition, il y a souvent un déni du trouble.

Pourquoi parle t-on d'anorexie mentale ?

La première fois que cette maladie a été décrite en 1873, on la dénomma anorexie mentale car on pensait que la cause était uniquement psychologique. Aujourd'hui, on sait qu'il existe plusieurs facteurs de risques. Ce qui est vrai d'ailleurs pour tous les troubles de comportement alimentaire. Dans le cas de l'anorexie, il y a le patrimoine biologique et l'environnement qui s'ajoutent à la dimension psychologique. On pense également qu'il y aurait des facteurs génétiques qui prédisposeraient à l'anorexie.

En voulant s'affranchir de la nourriture, les anorexiques ne subissent-elles pas l'effet inverse : l'obsession des aliments ? On est loin de l'idée de maîtrise, non ?

Effectivement. Mais la préoccupation alimentaire n'est pas la première chose qui les obsède. Les anorexiques sont surtout préoccupées par leur poids et leur silhouette.

"Les anorexiques sont surtout préoccupés par leur poids et leur silhouette."

Elles sont également attentives aux sensations corporelles (plaintes digestives, malaise.... Manger est devenu synonyme de malaise.

 

Quels sont les premiers signes qui peuvent nous faire suspecter une anorexie ?

Les premiers signes sont difficiles à identifier. On peut suspecter un début d'anorexie chez les jeunes filles qui, de manière insistante, sont préoccuppées par leur poids. Ce changement de comportement doit alerter les parents. Ils doivent rester à l'écoute de l'entourage ou des professeurs qui signaleraient toute conduite anormale. Il faut retenir que la perte de poids n'est pas le critère absolu. La pratique sportive intensive et solitaire, la crainte du regard de l'autre, la perte de confiance en soi sont également des signes qui méritent de l'attention.

Il semblerait qu'il y ait un portrait type du malade. Qu'en est-il ?

Il existe des traits de caractère que l'on retrouve chez les personnes atteintes d'anorexie. Le perfectionnisme est l'un d'eux. A la recherche d'objectif toujours plus haut, l'anorexique aura tendance à le dévaloriser, dès qu'il sera atteint. En cela, l'anorexique est une personne insatisfaite non seulement d'elle-même mais aussi souvent de sa vie. Cette quête incessante de l'objectif à atteindre se double d'une peur de l'échec. Les relations interpersonnelles (famille, amis...) sont également difficiles à entretenir.

Pourquoi l'anorexie touche-t-elle préférentiellement le sexe féminin ? Est-ce là le signe d'un refus de la féminité ?

Les anorexiques sont essentiellement de sexe féminin. 90 % d'entre elles sont des filles ou des jeunes femmes. Le plus souvent entre 13 et 20 ans. Il semblerait qu'il y ait des facteurs biologiques liés au sexe, auxquels s'ajoutent des facteurs socio-culturels. Entre la vie familiale, professionnelle et amoureuse, les femmes sont investies dans des rôles multiples, difficilement compatibles. Ce qui relève du mythe de la superwoman. Face aux attentes de la société (beauté, minceur...), les femmes sont plus attentives que les hommes à répondre aux attentes de leur environnement.

En savoir plus
  • Le Dr Simon a co-écrit avec le psychologue François Nef, "Comment sortir de l'anorexie ?", aux éditions Odile Jacob.

Le refus de la féminité peut aussi s'inscrire dans la crainte de la maturité. Surtout à la puberté, où l'adolescente fait face à une série de transformations et de changement de rôle, sans y être forcément préparée. Il y a là "un refus de grandir". Mais, c'est bien habituellement une série d'éléments qui conduisent à l'anorexie.

Cette maladie n'est-elle pas aussi une conséquence perverse de notre société qui voue un culte à la minceur alors que l'alimentation est omniprésente ?

Il est clair que dans nos sociétés, l'alimentation est accessible partout. Avec dans un même temps, une valorisation de la minceur, considérée comme un canon de beauté culturel et la crainte de l'obésité. Résultat, il se crée une distance entre le corps réel et le corps idéalisé. Et les femmes y sont particulièrement sensibles. Plus d'une sur deux entame un régime une fois dans sa vie. Et cette idéalisation qui incite au régime favorise potentiellement l'entrée dans la maladie. Mais encore une fois, c'est un élément parmi d'autres.

"L'anorexie n'est pas seulement un phénomène culturel. Mais depuis une décennie, on déplore plus de cas.

La personnalité, l'histoire personnelle ou les situations d'échec peuvent conduire également à l'anorexie. L'anorexie n'est donc pas seulement un phénomène culturel. Mais depuis une décennie, on déplore plus de cas. Et, on en parle plus.

Quand l'anorexie est-elle associée à la boulimie ? Y a t-il d'autres troubles qui accompagnent l'anorexie ?

On regroupe les comportements anorexiques en deux catégories. L'anorexie restrictive qui se caractérise par de la restriction alimentaire et/ou par de l'exercice physique excessif. Et l'anorexie avec des crises de boulimie et/ou des comportements de purge. Et plus généralement, une anorexique sur deux a des épisodes de boulimie. Un comportement boulimique peut aussi s'observer au moment de la reprise de poids et jusqu'à la reprise d'un poids normal. Il accompagne le processus de guérison. Un suivi thérapeutique aide à ne pas basculer dans ce travers en dédramatisant ces épisodes et en encourageant la personne, souvent avec l'aide de sa famille, à établir des repères alimentaires par le maintien d'un schéma nutritionnel de base dans un environnement stable et prédictible.

D'autres troubles comme la dépression, l'état anxieux, les comportements compulsifs, ou l'abus de substances psychotropes peuvent s'associer à l'anorexie mentale.

On dit souvent, que les parents sont partiellement responsables dans le déclenchement de la maladie, qu'en est-il ?

Il est vrai qu'en général les parents se sentent responsables de la maladie de leur enfant. Pourtant, il serait injuste qu'ils portent l'entière responsabilité. La mère "intrusive et protectrice" ou le père "froid et absent" sont des clichés.

"La mère "intrusive et protectrice" ou le père "froid et absent" sont des clichés".

Reste que certaines filles tombent dans la maladie parce qu'elles refusent de ressembler à l'image qu'elles ont de leur mère. Ou que l'image de la femme que véhicule le père est inaccessible.

Les parents sont le plus souvent démunis face à un enfant anorexique. Quelles attitudes doit-on avoir face à un enfant qui refuse de s'alimenter ?

Il faut éviter les questions du type "pourquoi tu fais cela" qui ne font qu'augmenter l'angoisse de l'enfant. Les parents sont la plupart du temps des partenaires de soin et ils peuvent encourager à la réalimentation tout en acceptant que l'enfant s'y oppose. L'enfant ne doit pas être réduit à sa maladie. C'est un équilibre difficile qui peut être obtenu avec l'aide d'un professionnel dans le cadre d'une thérapie familiale. L'anorexique doit prendre conscience que ses parents sont à ses côtés. Elle peut ainsi regagner son autonomie parce qu'elle garde sa capacité à s'opposer.

Quelles sont les options thérapeutiques que l'on peut proposer à un enfant anorexique ?

La thérapie familiale est une prise en charge qui a fait ses preuves. Mais souvent, on n'évite pas une hospitalisation (brève ou longue), qui donne de bons résultats.

"Après, la schizophrénie et la démence, l'anorexie est la maladie psychiatrique qui a le taux d'hospitalisation le plus élevé."

Après la schizophrénie et la démence, l'anorexie est la maladie psychiatrique qui a le taux d'hospitalisation le plus élevé. Mais attention, l'hospitalisation n'est pas un traitement en soi. Il n'est qu'un moment dans la prise en charge. Avant, pendant et après, il faut un suivi médical et psychologique.

 

Pourquoi la guérison est-elle si difficile à obtenir ?

Tout d'abord, plus on s'y prend tôt (avant que la perte de poids soit trop importante) et plus les chances de réussite du traitement sont élevées. Une bonne alliance de traitement avec les parents est aussi un facteur déterminant. Néanmoins, l'anorexie reste difficile à traiter car les efforts de réalimentation suscitent des malaises et des préoccupations très importantes. Alors que les parents se réjouissent d'une reprise de poids, l'enfant est émotionnellement plus instable et traverse des moments psychologiquement douloureux. C'est dans cette phase qu'il est le plus fragile. D'autant qu'il doit mettre de côté le plaisir qu'il ressentait quand il maîtrisait son poids.

C'est pour cela que dans le processus de guérison, il est important que l'enfant retrouve du plaisir aux travers d'autres domaines de la vie qu'il choisi lui-même.. La sortie de l'anorexie s'accompagne souvent de la mise en place de projets personnels qui augmentent l'estime de soi. Réapprendre à se tourner vers les autres, accepter le regard des autres, se faire plaisir autrement. Mais, la vigilance reste de mise. En effet, 50 % des personnes guéris conservent des traces d'anorexie dans les situations de stress ou d'insécurité.

 

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