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INTERVIEW
 
Août 2006

Dr Guichenez : "Les fumeurs sont ambivalents par rapport à la cigarette"

Vous n'arrivez pas à vous passer de cigarette à l'heure du café ? Sortir avec des fumeurs vous est insupportable ? Malgré les patchs, vous avez craqué plusieurs fois ? Conseils d'un spécialiste des thérapies comportementales.
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Le Dr Philippe Guichenez est pneumologue-tabacologue au centre de tabacologie de l'hôpital de Béziers. Il est diplômé de thérapies comportementales et cognitives.

Pourquoi certains fumeurs n'éprouvent pas le besoin de s'arrêter de fumer ?

C'est parce que ces fumeurs ne sont pas prêts à arrêter, ils sont dans une phase où les avantages à continuer à fumer sont importants. Mais cet état n'est pas forcément définitif. En fait, toute personne qui commence à fumer peut passer par plusieurs états psychologiques successifs (cycle de Prochaska et Di Clemente).

Quels sont ces états successifs ?

Théoriquement, dans la première étape (précontemplation), le fumeur est heureux, n'a pas envie d'arrêter de fumer et ne se pose aucune question. Ensuite, pendant la seconde étape (contemplation) le fumeur devient indécis, il se pose notamment des questions sur les risques qu'il prend. Mais en même

"Le fumeur devient indécis et se pose des questions sur les risques qu'il prend"

temps, il trouve toujours des bénéfices pour continuer. Lorsqu'il surmonte cette ambivalence, il passe dans la troisième étape (préparation). A ce moment là, il envisage l'arrêt et étudie les stratégies qui s'offrent à lui. Etape suivante, l'action, le fumeur s'arrête de fumer, il est décidé et a confiance en ses capacités à réussir son sevrage. Suit alors une cinquième étape (consolidation) qui lui permet de réussir à maintenir son arrêt.

Mais ensuite, de nombreux ex-fumeurs rechutent…

Oui, les rechutes sont très fréquentes, elles sont même la règle et non l'exception ! En moyenne, il y a quatre rechutes avant l'arrêt définitif. D'ailleurs, les fumeurs qui se remettent à fumer ne doivent pas culpabiliser ou avoir honte de leurs rechutes. Elles sont tout à fait "normales". Dans le cadre d'une thérapie, elles permettent au patient et au thérapeute de trouver des stratégies de prévention de la rechute en analysant les situations à haut risque. Par

"En moyenne, il y a quatre rechutes avant l'arrêt définitif"

ailleurs, même après plusieurs années, un ex-fumeur n'est jamais totalement protégé d'une rechute éventuelle. Le cerveau garde en effet en mémoire le souvenir des effets du tabac (zone du cerveau correspondant au système de récompense) et il suffit d'un événement émotionnel fort, qu'il soit positif ou négatif, pour réactiver l'envie de prendre une cigarette. Mais cela ne doit pas décourager les fumeurs d'arrêter, ils doivent juste en être conscients.

Tous les fumeurs n'arrivent pas à passer ces différentes étapes et notamment à prendre la décision d'arrêter. Que leur suggérez-vous ?

La plupart des fumeurs sont en effet très ambivalents par rapport à leur tabagisme. Ils s'inquiètent des risques mais n'arrivent pas à agir. Il leur manque souvent la motivation. Les thérapies comportementales et cognitives permettent de travailler sur ce point, en utilisant notamment "la technique de la balance". Le fumeur établit des listes des avantages et inconvénients de continuer à fumer à court terme,

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puis des avantages et inconvénients d'arrêter à court terme, et enfin des avantages à court terme comparés aux inconvénients à long terme. Il évalue ensuite, sur une échelle de 0 à 100, l'importance de ses arguments. Lorsque le fumeur réalise que les avantages sont liés au court terme, et que tous les inconvénients sont liés au long terme, cela augmente son ambivalence par rapport au tabac et il trouve des éléments de motivation. Le cheminement vers la décision d'arrêt va se poursuivre jusqu'à ce que la balance penche du côté positif du sevrage.

Au contraire, certains fumeurs arrivent à se décider du jour au lendemain, parfois sur un coup de tête. Est-ce une bonne solution ?

Lorsque la dépendance physique n'est pas très forte, pourquoi pas. La plupart des fumeurs s'arrêtent sans aide où seulement avec des substituts nicotiniques. Par contre, pour les fumeurs très dépendants physiquement ou qui souffrent de troubles anxieux et/ou dépressifs, il est plus difficile de s'arrêter sans accompagnement. Ils risquent en effet de "craquer" plus facilement. C'est la raison pour laquelle la période qui précède l'arrêt est indispensable pour anticiper les situations difficiles et ainsi mieux les appréhender.

Pourquoi est-il pourtant si difficile de ne pas fumer, notamment dans certaines situations, comme après une longue journée de travail... ?

Les émotions, les pensées et les comportements sont en interaction permanente. Certaines pensées qui reflètent nos émotions ont ainsi tendance à apparaître rapidement de manière automatique. Exemple, une situation (surcharge de travail) engendre une émotion (anxiété) et une pensée

"Je vais fumer, ça va me calmer"

automatique (je vais fumer, ça va me calmer). Dans le cadre des thérapies comportementales et cognitives, on travaille avec le fumeur pour mettre en évidence et modifier ces pensées automatiques et pour repérer les erreurs de logique comme la minimalisation (j'en fume qu'une, ce n'est pas grave). On travaille également sur les croyances (la cigarette permet de gérer le stress) afin de les modifier (exemple : la relaxation gère aussi mon stress).

Pourquoi la relaxation peut-elle être efficace ?

Les thérapies comportementales sont mises en place à partir des travaux de Pavlov (conditionnement répondant) et de Skinner (conditionnement opérant). Elles visent à modifier les comportements "problèmes" par apprentissage de nouveaux comportements incompatibles avec les premiers ou mieux adaptés. La relaxation en est un exemple car c'est est un comportement incompatible avec l'anxiété ou l'irritabilité. Il n'est possible de développer qu'une seule émotion à la fois. Si un patient apprend à se relaxer, dans le moment ou il est relaxé, il n'est plus irritable ou anxieux.

D'autres solutions comportementales permettent-elles d'aider les ex-fumeurs à ne pas "craquer" devant une cigarette ?

Oui on utilise par exemple, la technique du "contrôle du stimulus". Elle consiste à anticiper une situation que l'on sait dangereuse pour mieux la contourner. Prenons l'exemple fréquent de l'ex-fumeur qui redoute la pause café au bureau. Ce genre de situation quotidienne fait appel à la dépendance sociale, et est très souvent la cause de rechutes. Lors d'une thérapie, on établit au cas par cas, différentes stratégies pour contourner cette situation tentante. La première solution, surtout au début du sevrage, c'est l'évitement, c'est-à-dire de ne pas

"L'ex-fumeur apprend à modifier ses habitudes liées à la pause café"

prendre de pause afin d'éviter le contact avec d'autres fumeurs. Autre solution, le changement de comportement. Il s'agit de modifier les habitudes liées à la pause café pare exemple. Pour éviter d'aller à la cafétéria, la personne peut aller directement boire son café dans le bureau d'un collègue non fumeur ou ramener une bouilloire et du café soluble pour se faire son café. Elle peut aussi décider d'aller marcher dix minutes plutôt que de rester dans un environnement qu'elle juge trop dangereux. On encourage aussi les personnes qui veulent arrêter à prévenir leur entourage professionnel.

Quelle est l'efficacité des thérapies comportementales et cognitives ?

L'efficacité des thérapies comportementales et cognitives est validée, elles multiplient en effet par deux le taux d'abstinence à six mois. Les méthodes comportementales doivent toujours être associées aux méthodes cognitives. Bien entendu, elles sont complémentaires d'une prise en charge pharmacologique qui agira, elle, sur la dépendance physique.

Comment se déroulent-elles ?

Elles peuvent être pratiquées au sein de consultation tabacologie ou en cabinet privé avec un psychiatre formé aux TCC. Elles sont structurées et limitées dans le temps par un nombre de séances de 10 à 25. La durée de la séance est d'environ trois quart d' heure avec l'accueil du patient, un agenda de séance qui permet d'établir le travail collaboratif et un résumé de la séance. Les patients ont des "tâches" à réaliser qui seront analysées lors de la séance suivante. Lors des premières séances, fumeur et thérapeute décident ensemble des objectifs thérapeutiques et des méthodes qui seront employées. Une évaluation est réalisée au début, au milieu et à la fin de la thérapie. Elle permet de mesurer l'évolution des problèmes au fur et à mesure de la mise en place du traitement. Un suivi prolongé, permet enfin de vérifier le maintien ou non du résultat. L'inconvénient des TCC appliquées à l'aide à l'arrêt du tabac c'est que peu de médecins y sont formés ainsi que leur caractère "chronophage". Résultat, le délai d'attente est parfois un peu long…

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