Interview
Septembre 2007
Dr Michel de Lorgeril : "Pour une consommation raisonnable d'alcool"
Qu'est-ce qui vous a incité à écrire ce livre à contre-courant sur les bienfaits de l'alcool ? Au départ, c'est une commande de l'éditeur. Mais cela fait plus d'une dizaine d'années que je travaille sur ce sujet. Je collaborais avec un directeur de laboratoire de l'Inserm qui était lui-même passionné par les effets de l'alcool sur la santé. Il m'a donné envie de m'y intéresser et j'ai découvert à quel point il est clair que l'alcool constitue une protection contre certaines maladies. Ce qui me gêne, c'est le degré de désinformation de la population, qui est prise en tenaille entre deux clans. Il y a des producteurs d'alcool qui militent bien sûr pour leurs produits et les intégristes du non-alcool qui militent pour l'abstinence totale.
Il est assez facile de comprendre pourquoi les producteurs d'alcool voudraient booster la consommation, mais pourquoi d'autres personnes voudraient-elles l'interdire totalement ? Il s'agit souvent de médecins qui travaillent avec des personnes qui souffrent d'un grave problème avec l'alcool, avec consommation abusive et irrationnelle. Les personnes qui ont eu une maladie addictive sont également souvent très militantes. On peut comprendre leur agacement : l'addiction à l'alcool est une vraie maladie et très peu de laboratoires en France travaillent sur ce sujet, faute de fonds. Ceci dit, nous ne cherchons surtout pas à minimiser le travail des médecins et des associations qui travaillent dans ce domaine. Nous avons beaucoup de sympathie pour eux.
Plus exactement, nous recommandons une consommation raisonnable (ou rationnelle si cela est possible), à deux importantes exceptions près. D'abord, les femmes enceintes ne doivent pas boire d'alcool du tout. Les effets sur le ftus peuvent être dramatiques. Il peut s'agir de malformations, de retard psychomoteur ou même de troubles neuropsychiques à l'adolescence. On n'a pas pu prouver qu'une consommation minime n'avait pas d'effet et l'enjeu est trop important, nous recommandons donc une consommation zéro. Même chose lorsque vous devez avoir une activité qui nécessite toute votre attention, telle que conduire par exemple. L'alcool diminue la vigilance, il est donc à proscrire totalement, même si c'est effectivement difficile dans certaines situations. Dans les autres cas, oui, l'alcool consommé de façon quotidienne et raisonnable, et j'insiste sur ce terme, est bon pour la santé. Il a des vertus protectrices dans le domaine des maladies cardiovasculaires, dans les pathologies cérébrales mais aussi pour prévenir le diabète ou encore certains cancers.
De quelle façon l'alcool agit-il sur le système cardiovasculaire ? Aujourd'hui, il y a un consensus général pour dire que l'alcool protège des maladies cardiovasculaires. On en a constaté les effets, mais on ne sait pas encore parfaitement expliquer comment cela fonctionne. Des hypothèses ont été proposées et il y sans doute plusieurs facteurs qui interviennent dans le mécanisme de protection. Selon certains chercheurs l'alcool augmenterait le bon cholestérol. Ce n'est pas notre théorie dans notre laboratoire, dans la mesure où nous estimons qu'il n'y a pas de bon ou de mauvais cholestérol ; ce sont des notions très répandues mais puériles qu'il faut oublier. En revanche, l'alcool diminue le risque d'avoir des caillots dans le sang. Il agit un peu à la façon de l'aspirine, qui diminue notre capacité à faire des thromboses. Un autre effet constaté de l'alcool est sa capacité à pré-conditionner le myocarde contre les terribles effets de la privation d'oxygène (c'est cette privation d'oxygène qui détruit certaines cellules du cur lors d'un infarctus, NDLR). Cette résistance au manque d'oxygène serait l'uvre de l'éthanol lui-même et aussi des polyphénols, qui sont des substances présentes dans certaines boissons alcoolisées en plus de l'éthanol. On les trouve notamment en très grande quantité dans le vin, ce qui pourrait expliquer son action supérieure aux autres boissons alcoolisées sur la santé. Toutefois, on ne sait pas encore expliquer de quelle façon ces polyphénols agissent sur notre corps, on ne peut qu'en constater les effets. Les effets protecteurs contre l'infarctus du cerveau participent du même mécanisme : en fluidifiant le sang, l'alcool fait diminuer le risque de caillots qui pourraient boucher une artère menant au cerveau.
C'est une recommandation qui n'a plus cours aujourd'hui. Evidemment, il faut arrêter le tabac, qui est l'un des responsables des infarctus. Mais l'alcool, en revanche, n'est plus proscrit. Au contraire, certains cardiologues " prescrivent " même à leurs patients un verre de bordeaux par jour. Je dois vous avouer qu'au départ, j'avais moi-même des réserves quant à cette idée. Mais après dix ans de travail et de recherches sur le sujet, je suis désormais totalement convaincu qu'il ne faut pas arrêter de boire, raisonnablement bien sûr, après un infarctus.
Pas si l'on en consomme de façon raisonnable. Les gros buveurs, eux, peuvent avoir des soucis de ce côté-là, mais c'est au stade de l'abus d'alcool où leur foie est devenu malade.
Je dirais que, contrairement aux idées répandues, la consommation
raisonnable d'alcool a un effet préventif sur presque tous les cancers, mais là
non plus on ne sait pas comment il agit. C'est d'autant plus compliqué que pour
chaque organe, il y a plusieurs types de cancers, qui évoluent de façons différentes.
Le seul cancer pour lequel on a remarqué que l'alcool pouvait augmenter les risques,
c'est le cancer du sein. Et encore, je nuance mon propos. Le risque est augmenté
si l'on consomme de la bière et qu'on a un régime pauvre en fruits et légumes.
Mais s'il s'agit de vin et que la personne a une alimentation riche en fruits
et légumes (type d'habitudes alimentaires dites méditerranéennes), c'est-à-dire
en acide folique, l'augmentation de ce risque se trouve pratiquement abolie. Dans le même ordre d'idée, vous dites qu'il est meilleur pour la santé de boire en mangeant plutôt qu'en dehors de tout repas. Pourquoi ? C'est très simple : si l'on mange en même temps, on dilue l'éthanol.
Or ce qui est potentiellement dangereux, c'est la consommation ponctuelle et massive
d'alcool. Le foie se met alors à produire beaucoup d'acétaldéhyde, une substance
qui peut être dangereuse. Alors que si l'on boit en mangeant, la diffusion est
plus lente et les systèmes enzymatiques qui nous débarrassent de l'éthanol sont
moins sollicités.
A première vue, on n'a pas du tout la même façon de se nourrir au Maroc, en Italie ou en Grèce. Pourtant, toutes ces cuisines du sud ont de nombreux points en commun. Elles sont riches en céréales (pain, coucous, pâtes ) mais aussi en fruits et légumes, en haricots, en produits laitiers fermentés, sans parler de la célèbre huile d'olives. Le vin fait également partie de l'alimentation des Méditerranéens et ils le consomment généralement pendant le repas. Cette diète méditerranéenne contient beaucoup de polyphénols. C'est LE modèle à suivre pour se protéger de nombreuses pathologies et pour s'assurer la meilleure espérance de vie. Sur L'Internaute Santé Alcool : moins boire, moins souvent
"Alcool vin et santé" Docteur Michel de Lorgeril et Patricia Salen Editions Alpen,110 pages, 9,90 €.
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