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Interview
 
11/01/2008

Lise Boily : "Derrière la passion du collectionneur, il peut y avoir un souci d'esthétisme"

Anthropologue et professeur à l'université d'Ottawa, Lise Boily a réalisé plusieurs recherches sur les collectionneurs. Elle nous dévoile ici ce que cachent ces passionnés, qui peuvent parfois surprendre et déranger.
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Quelle est l'exacte définition du collectionneur ?

Le collectionneur est un être passionné qui se plonge dans la découverte, l'appréciation et l'investissement dans le court et le long terme. Un bon collectionneur est quelqu'un d'informé, de perspicace et de très déterminé dans ses démarches. Derrière la passion du collectionneur, il peut y avoir un souci de beauté, d'esthétisme comme d'ordre pour assurer une part d'inertie nécessaire face à la volatilité des modes notamment. Le collectionneur se donne ainsi le privilège d'un référent stable. En cela, la collection neutralise le désordre possible qui fait écho à cette pensée de Paul Valéry : "Deux choses menacent le monde : l'ordre et le désordre".

Y a-t-il une différence entre le collectionneur enfant, que nous avons tous été, et le collectionneur adulte, qui peut parfois surprendre et étonner ?

L'enfant fait souvent des collections d'objets hétéroclites qu'il insère dans un ensemble qui devient logique pour lui-même. Ainsi, il se crée un espace stable par le biais de ses collections qui lui servent de modèle réduit de la réalité. Il y reproduit souvent les interdits et les normes sociales qui lui sont véhiculées par la famille, l'école et les médias. Pour ce qui est de l'adulte collectionneur, il faut voir davantage cette activité comme un moyen de sublimation, de dépassement face aux contraintes du quotidien. C'est une façon de s'affirmer avec des goûts précis au-delà des contingences, des frustrations provoquées par des structures bureaucratiques, systémiques trop encombrantes. La collection devient ainsi un lieu d'expression de la singularité, d'une liberté de goût.

" Il y a un principe fondamental : celui de la référence à son identité. Collectionner c'est une manière de se montrer à soi-même"

Y a-t-il un profil de bon ou de mauvais collectionneur ?

Non, mais il y a différents types de collectionneurs. Certains choisissent les objets d'art, d'autres les végétaux, certains des choses éphémères. Le point commun entre eux est, avant tout, la passion et non l'argent. Un vrai collectionneur est incollable sur le sujet de sa collection.

L'objet que l'on collectionne a-t-il une signification importante ?

Oui, car il réfère souvent à une idée de soi. Si on fait collection, c'est qu'il y a une part de soi qui s'exprime. On se définit par ce que l'on collecte. On se montre à soi-même dans une démarche de réflexivité. Par ailleurs, il existe une relation affective très forte entre le collectionneur et ses objets. Ce dernier peut même tombé amoureux de sa collection, qui lui est totalement fidèle !

Que cache le fait de collectionner ?

Il y a un principe fondamental : celui de la référence à son identité. Collectionner, c'est une manière de se montrer à soi-même. C'est une forme de projection de soi. Mais cela permet aussi d'apporter un certain ordre aux changements permanents de la société. Faire collection peut ainsi offrir une certaine stabilité.

Quelles sont les raisons qui poussent à collectionner ?

Certaines personnes vont se mettre à collectionner pour des raisons mercantiles mais, en règle générale, le vrai collectionneur reste attaché à sa collection. Il y retrouve une dimension intellectuelle, une charge émotive mais aussi des valeurs sociales. Prenons l'exemple des collectionneurs de voitures de sport. Ces derniers recherchent indéniablement la puissance, la beauté. Ces voitures sont pour eux une manière d'endiguer leurs frustrations, une sorte de récompense, surtout s'ils ne sont pas épanouis dans leur vie professionnelle. Parmi les autres raisons qui poussent à collectionner, il y a le besoin de dépasser les contraintes de l'immédiat, de dépasser les limites de l'existence humaine, de mettre en place un rituel.

Quels bénéfices en retire le collectionneur ?

Dans un sens très général, cela lui apporte une satisfaction, une fierté car la collection réfléchit une image de lui-même. Cela peut également lui donner un sentiment de puissance en compensation d'un pouvoir qu'il n'a peut-être pas. Que ce soit des collections de l'éphémère, d'art périssable aux collections de grande valeur, la référence à l'idée de soi demeure incontournable.

Le collectionneur peut-il se laisser dépasser par sa collection et en devenir obsédé au point de la préférer à ses proches ?

Oui, car la collection lui permet de développer un niveau de sophistication qui l'éloigne des "prêt-à-penser" communs dans une société de consommation. De plus, le collectionneur n'a pas à négocier avec les objets. Il les contrôle. Alors qu'il nous est impossible de contrôler un être humain ! La collection se révèle comme un espace de neutralité, de désengagement par rapport aux habiletés interpersonnelles requises pour la vie sociale.


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En savoir plus :

"Classer ou collectionner"
Francis Rousseau
261 pages
Editeur Academia-Bruylant
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