Interview
09/11/2007
Xavier de Saint Cyr : "Pour bien écouter, il ne faut pas être centré sur soi et ses préjugés"
Pourquoi les gens ont-ils autant de mal à communiquer ? Nous sommes dans une société où la communication est devenue un diktat. Particulièrement avec l'arrivée d'Internet. Mais paradoxalement, les gens sont plus centrés sur eux-mêmes, alors que communiquer, c'est avant tout être centré sur l'autre. La seconde problématique est celle de la discordance du message que l'on veut faire passer. Entre ce que je pense, ce que je dis et ce qui est interprété, au final, la différence est parfois très grande. Quel est, selon vous, le plus grand obstacle à une bonne écoute ? Les préjugés sont un véritable obstacle à la communication. Au cours d'une conversation, ils engendrent un manque de compréhension et des généralisations absurdes. Pour bien écouter, il ne faut surtout pas être centré sur soi et ses croyances.
Quels sont les facteurs d'une écoute active ? Le premier facteur est la patience. Il en faut un minimum pour écouter ce que les autres ont à dire. Le deuxième facteur est la curiosité. Il faut avoir envie de s'enrichir, de découvrir Le troisième et dernier facteur est la volonté. Cela signifie se centrer sur l'autre en estimant que ce qu'il dit peut avoir un intérêt. Tout cela n'est pas facile à mettre en place dans la vie de tous les jours mais avec un peu de travail, on peut y arriver ! Nous ne sommes pas toujours disposés à écouter. Comment réagir dans ces cas-là pour ne pas blesser la personne en face de soi ? Je crois que l'on peut dire, de manière très simple, à l'autre que ce n'est pas le moment. Si vous vous engagez dans une conversation alors que vous êtes stressé, vous allez être agressif et l'autre sentira que vous n'avez pas envie de parler. Il est alors plus judicieux de dire : "Je suis fatigué. Je préfère que l'on parle de ça un peu plus tard car pour le moment je ne suis pas en état d'écouter." La conversation reportée sera beaucoup plus fructueuse. Y a-t-il des phrases clés à privilégier lorsque l'on écoute quelqu'un ? Il y a d'abord tout le non verbal. Si vous allez voir votre patron pour lui demander une augmentation et que ce dernier continue à écrire pendant que vous lui parlez, vous pouvez être sûr qu'il ne vous écoute pas. Il faut être attentif et ne pas regarder en l'air lorsque l'on s'adresse à vous. Ensuite, montrez que vous vous intéressez à l'autre, en lui posant des questions par exemple. Mais ne niez pas ce qu'il ressent et évitez les phrases du genre : "Si j'étais toi, j'aurais fait comme ça ". Parfois, les gens ont juste besoin de verbaliser et n'ont pas forcément envie d'entendre des conseils. Dans ces cas-là, écoutez tout simplement sans tout ramener à vous.
Faut-il écouter tout le monde ? Non, surtout si l'on n'a pas envie de s'embarquer dans une discussion sans fin. Vous devez juste être au clair avec vos intentions. Par exemple, hier, j'ai pris le temps d'écouter ma voisine pendant quelques minutes, simplement dans le but d'établir une relation amicale. Qu'en est-il des gens qui ne savent pas écouter ? Vous avez des gens qui n'écoutent personne. Il n'y a que leur point de vue qui compte. Il peut s'agir d'un patron trop autoritaire ou d'une mère avec une communication trop directive. Tous les domaines de la vie ne sont pas forcément liés mais il existe des gens qui ne savent communiquer nulle part. Par contre, je ne pense pas qu'il y ait un profil de mauvais communicant. Je considère que chacun peut être complètement différent selon le contexte. Après, il est certain que le système parental a son importance. Si vous n'avez jamais appris à vous intéresser aux autres, vous aurez du mal à communiquer intelligemment. Dans votre livre "Pratiquer la bienveillance", vous parlez de communication non violente. Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ? Souvent, lorsque les gens communiquent, ils tentent d'imposer leur idée, de prendre le pouvoir sur l'autre. Utiliser la communication non violente (CNV) est un bon moyen de ne pas adhérer à ce système. Avec la CNV, vous essayez d'abord de comprendre ce que l'autre veut et d'être au clair avec ce que vous voulez. L'objectif est que tout le monde sorte gagnant de la discussion. Chacun se respecte sans se renier.
Quel comportement adopter lorsqu'une discussion s'enlise ? Le risque, dans ces cas-là, est de tomber dans l'extrémisme. Je fais notamment allusion à certaines conversations animées lors des élections présidentielles. A ce moment-là, si l'on voit que ça dérape, mieux vaut s'arrêter et dire : "Attends ! Là, on n'avance pas. Reprenons cette discussion plus tard, à tête reposée". Il faut prendre du recul et ne pas persévérer. Dans votre livre, vous accordez une grande place à l'empathie. Mais est-ce toujours positif de se mettre à la place de l'autre durant une discussion ? L'empathie, c'est essayer de comprendre ce que les gens ressentent. Cela permet à l'autre de se sentir écouté, exister et accepté. Et c'est très agréable ! Mais l'empathie a ses limites. Il n'est pas sage de tomber dans la fusion et de devenir une éponge à émotion. Si vous vous mettez à fondre en larmes à l'écoute d'un récit difficile, ce n'est pas vraiment soutenant pour la personne qui vous parle. Pour lui apporter votre aide, vous devez être capable de rester à l'écoute. L'empathie, c'est avant tout de la chaleur humaine. Mais cela ne veut pas dire souffrir avec. Finalement, quelle est la bonne distance à adopter lorsque l'on communique avec autrui ? Même si l'on est affecté, il faut prendre du recul pour tendre sa main. Ne pas se laisser manipuler par ses propres émotions. Cela ne veut pas dire qu'il faut être froid mais simplement connaître ses limites. Pour finir, je dirais que, pour bien écouter, il faut avoir un minimum d'amour en soi à partager.
En savoir plus "Pratiquer
la bienveillance par l'écoute active et l'empathie"
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