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Décembre 2006

Cyberdépendance : "Le danger, in fine, est la solitude"

Jeux de grattage, jeux en réseaux, achats en ligne, sport... Peut-on vraiment parler d'addictions ? Quand devient-on cyberdépendant ? Le psychiatre Marc Valleur a répondu à toutes vos questions lors d'un chat.
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Marc Valleur est psychiatre et chef de service au centre de soins des pratiques addictives de Marmottan. Avec Jean-Claude Matysiak, il est l'auteur de "Les pathologies de l'excès" aux éditions JC Lattès. © L'Internaute

Qu'appelle-t-on cyberdépendance ? Comment définiriez-vous cette expression ?
Marc Valleur : ce qu'on appelle cyberdépendance est en fait plusieurs choses. D'une part, de bonnes vieilles addictions, comme le jeu d'argent et de hasard, d'autre part, de nouvelles dépendances, comme celles des jeux en ligne.
En fait, "cyberdépendance" recoupe plusieurs réalités différentes.

Existe-t-il un profil des accros au web (jeux notamment) ?
Pour le moment, oui. Ce sont surtout des jeunes (17 à 25 ans) et des hommes. Et, à ma connaissance, il n'y a pas de vrais accros aux SIMS (jeu de réalité virtuelle).

L'addiction est-elle un phénomène physique ? Peut-elle être simplement psychologique ?
Pour nombre de "scientistes", l'addiction vraie implique une modification durable des circuits cérébraux (dopaminergiques notamment). Pour eux, elle est donc toujours "physique". Cette position est discutable.

Y-a-t-il des prédispositions à l'addiction ?
L'addiction est toujours une rencontre entre une personnalité, un moment socio-culturel et un produit.
Donc il peut y avoir une part de prédisposition, mais celle-ci est complexe, et au cas par cas.

"Le sujet veut réduire ou cesser une conduite, mais n'y parvient pas tout seul"

Comment définir la dépendance, d'un point de vue médical ? Ou commence-t-elle ?
D'un point de vue strictement médico-biologique, c'est difficile. La vraie définition clinique implique une part de subjectivité : c'est le fait que le sujet veut réduire ou cesser une conduite ou un comportement, mais n'y parvient pas tout seul.

Y-a-t-il un signal d'alarme qui doit nous faire penser qu'il est temps d'arrêter de passer son temps sur l'ordinateur à se prendre pour son personnage... ?
Plusieurs signaux sans doute. D'abord, quand le jeu commence à devenir lassant. Ensuite, quand votre entourage commence à se lasser aussi. Ensuite, quand vous avez l`impression que le jeu prend la place d'activités qui commencent à vous manquer.

Comment expliquez-vous cet attrait pour le virtuel, est-ce pour ne pas affronter la réalité ?
Oui, pour le moment, c'est le constat général chez la plupart des accros. Ils disent ainsi échapper à un contexte oppressant, familial ou social. Un problème apparent est que beaucoup prétendent fuir les contraintes, la compétition, les hiérarchies. Or, ce qu'ils trouvent dans les jeux y ressemble beaucoup : hiérarchies en béton, luttes permanentes, compétition effrénée...

"Le danger, in fine, est la solitude"

Quel est le danger principal à être dépendant d'internet ou de jeux vidéos ou d'achats en ligne ?
Le danger, in fine, est la solitude. C'est le développement d'une conduite au détriment de tous les investissements affectifs et sociaux.

Internet a aussi un rôle de lien social (faire des rencontres, ne pas rester isolé, partager ses passions...) en quoi est-ce mal ?
C'est très bien. Le fait qu'une pratique puisse donner lieu à une addiciton n'en fait pas quelque chose de mal. Mais les socialisations diverses et particulières permises par Internet peuvent aussi, paradoxalement, devenir des instruments de solitude.

"Une socialisation restreinte à un groupe d'amis ou aux "collègues" de jeu est parfois une forme d'isolement à plusieurs"

Vous dites que le danger est la solitude, mais n'est-il pas préférable d'être seul(e) chez soi mais en réseau avec le monde que seul(e) chez soi tout cours ? En effet, internet et les réseaux ne sont-ils pas au contraire un lien à l'autre, un outil d'échange et de communication ?
Ce sont les deux à la fois. Internet est un formidable outil de socialisation, et il faut penser aux personnes isolées. J'ai rencontré des "accros" heureux, par exemple des handicapés qui avaient découvert des liens qui leur étaient jusque là impossibles. Mais une socialisation restreinte à un groupe d'amis, en "tribu", ou aux "collègues" de jeu est parfois une forme d'isolement à plusieurs. Comme on a pu parler de solitude à deux, dans le cas de certains couples.

Pourquoi parler d'accro au net, de workaddict etc. ? Ce n'est quand même pas aussi dangereux que l'alcool ou le tabac ou les autres drogues...
C'est vrai, d'une façon générale. Le danger est au niveau existentiel, dans l'isolement et le désinvestissement qu'entraîne la dépendance. Pour la dépendance aux jeux d'argent : la dépression, le surendettement sont un peu l'équivalent du cancer du fumeur ou de la cirrhose de l'alcoolique.

Les plus jeunes, "la génération internet" est-elle plus concernée par la cyberdépendance ? Des études américaines récemment publiées sont alarmantes à ce sujet, qu'en pensez-vous ?
Les jeunes sont en avance sur la pratique d'internet, et surtout sur celle des jeux en réseau. Mais l'alarmisme de certains auteurs américains est tout à fait excessif.

Je pense que tout comme la lecture, la télé ou le cinéma… passer du temps sur le net est un loisir. Je ne vois pas en quoi cela peut être dangereux. Certaines personnes peuvent rester des heures plongées dans un bouquin, non ?
Oui. Une fois de plus, la pratique en soi est positive, et potentiellement utile. C'est l'abus et la dépendance qui posent problème. Le cas du livre ou du cinéma sont intéressants. On avait eu peur, à une époque, que les romans détournent les jeunes filles de leurs devoirs domestiques. C'était la crainte du "bovarysme". Mais rester des heures devant un bouquin n'a pas le même sens si c'est un roman Harlequin ou du Dostoïevski.

"Beaucoup de sportifs intensifs sont accros physiquement"

Peut-on être psychologiquement accro au sport ?
D'une certaine façon, beaucoup de sportifs intensifs sont accros physiquement : ils prennent du poids à l'arrêt, parfois sont tentés de compenser par des prises de drogue. En sport comme ailleurs, sans même parler de dopage, l'excès n'est pas très bon pour la santé...

Comment savoir si l'on est dépendant aux jeux en réseaux ? Est-ce que cela dépend du temps que l'on y passe ?

Oui et non : ça dépend évidemment du temps passé, mais il n'y a pas de critères fixes. En fait, ça dépend des autres secteurs de la vie : si travail, amis, loisirs, n'en pâtissent pas, il n'y a pas de problème. On peut toutefois s'interroger par exemple au dessus de 35 heures de jeu par semaine : le loisir risque de devenir exclusif.

Est-ce que les symptômes d'achats compulsifs sont considérés comme une addiction ? Si oui est-ce qu'il y a des études sérieuses effectuées dessus ? Peut-il y avoir des liens entre les syndromes de la boulimie et les achats compulsifs ?
Oui : les achats compulsifs sont considérés comme une addiction sérieuse. Ils posent par exemple des problèmes de surendettement. Jean

"Les achats compulsifs sont considérés comme une addiction sérieuse"

Adès à Colombes a écrit avec Lejoyeux "la fièvre des achats" sur le sujet. Il peut y avoir un lien avec la boulimie (achats compulsifs, parfois kleptomanie...).

Les jeux dans lesquels on a une sorte de double, ne risquent ils pas de nous faire devenir schizo ?
Pour le moment, non. La schizophrénie est, de l'avis général, une maladie qui ne s'attrape pas par une pratique. Ni d'ailleurs par une prise de drogues. Surtout, pour le moment, je n'ai jamais rencontré, même parmi les plus "accros", de joueurs qui confondraient le monde du jeu et la réalité. Même d'ailleurs chez certains d'entre eux qui sont, par ailleurs, schizophrènes.

Peut-il y avoir des côtés positifs à l'addiction ?
Oui, ça c'est une bonne question. En fait, l'addiction est souvent la moins mauvaise solution pour pouvoir faire face à nombre de difficultés. Pour une gamine violée à répétition dans l'enfance, et maltraitée par la vie, l'héroïnomanie elle-même est parfois, pendant un temps plus ou moins long, un moindre mal.

Peut-on dire que les compulsions se sont renforcées avec internet ? Qu'est-ce-que l'on peut en dire ?
Plutôt les impulsions : la compulsion serait une chose contre laquelle on lutte, mais qui s'impose à nous (comme dans les T.O.C). L'impulsion est le désir irrésistible de faire quelque chose, parce qu'on en attend du plaisir, même si on essaie de lutter, parce que ce plaisir n'est pas, par exemple, socialement admis. Internet est aussi un lieu de tentations...

"Une alternative à un abus d'alcool"

Est-ce que la cyberdépendance peut être un substitut à une autre dépendance (cigarette ou alcool par exemple) ?
Dans le cas de la dépendance aux jeux en réseau, il est évident qu'un certain nombre de cas ont été une alternative à un abus d'alcool : situations de rupture, de chômage, etc. Mais pour le moment, les passages d'une addicitron à une autre concernent surtout les produits (drogues, alcool) et le jeu pathologique, au sens de jeu de hasard et d'argent. Là, les "recoupements" entre addicitons sont fréquents.

Quelle est la différence entre addiction et obsession ?
L'obsession est une idée qui s'impose à nous, et parfois qui nous conduit à faire des choses, des rituels, pour calmer l'angoisse (comme compter jusqu'à cent avant d'ouvrir la porte, ou regarder vingt fois si on a fermé le gaz). L'addiction est une conduite généralement plaisante, parfois passionnante, qui devient une habitude, qui est secondairement rassurante.

J'ai entendu dire que les jeux vidéo peuvent aussi servir d'outil thérapeutique, est-ce vrai ?

Oui, certains thérapeutes utilisent les jeux vidéo comme médiation avec les patients, notamment en pédopsychiatrie. Les enfants ne peuvent pas être allongés sur des divans pour qu'on les écoute... On a donc toujours utilisé des poupées, des dessins, de la pâte à modeler... Les jeux peuvent apporter une autre dimension.

En savoir plus

    Voyez-vous la cyberdépendance prendre le pas sur d`autres dépendances plus "classiques" ?
    Non. D'ailleurs, dans la "cyberdépendance", il y a aussi des dépendances très classiques, comme le jeu d'argent. Pour l'instant, c'est un phénomène relativement mineur. Ca évoluera. Mais il y aura toujours des problèmes d'alcool, de drogues, de jeu d'argent : ça existe depuis toujours, et y mettre fin serait une utopie sans doute dangereuse.

    Des gens viennent vous consulter pour des cyberdépendances ? Que leur conseillez-vous ?
    Si l'on pense qu'il y a un réel problème de dépendance, on propose une psychothérapie.

    Les TCC (thérapie comportementales et cognitives) sont-elles efficaces contre ce type d`addiction ?
    La mode des TCC concerne à peu près tout ce qui est accessible à la psychothérapie. Donc sans doute oui. Mais ce serait dommage de se priver de tout ce que peut apporter une thérapie : dimension de TCC, mais aussi de soutien et aussi d'écoute analytique.

    Que valent les thérapies et groupes de paroles proposés en ligne pour sortir de la dépendance ?
    Personnellement, j'ai surtout vu des sites qui me paraissaient assez marchands et qui dramatisaient le problème, semblant à l'affût de clients.

    "Sans doute s'en rend-il compte, et est-il de mauvaise foi... comme certains alcooliques"

    Comment aider un cyberdépendant avec lequel on vit ? Particulièrement s'il ne se rend pas compte de sa dépendance...?
    S'il ne s'en rendait vraiment pas compte, il n'y aurait pas dépendance au sens le plus plein. Mais sans doute s'en rend-il compte, et est-il de "mauvaise foi" au sens sartrien du terme (ou dans le "déni", comme certains alcooliques). Il faut d'abord sans doute l'aider à construire le problème. Et, pour cela, lui parler des problèmes que ça vous pose à vous.

    Un vrai dépendant guérit en combien de temps ?
    Pour les drogues dures, on compte en années, voire dizaines d'années dans des cas dramatiques. Pour le jeu d'argent, en mois, voire années. Les "cyberdépendants", surtout jeunes, évoluent plus vite. Mais c'est une question de cas par cas.

    Dois-je interdire à mon fils de 15 ans de jouer sur internet des heures entières ?
    Si ça vous rend folle, oui. On a le droit de se protéger, même de ses enfants, et même si ce n'est pas uniquement pour leur bien. Pour le reste, il faut voir si cette pratique lui nuit, s'il travaille correctement, s'il a toujours des amis, etc..

    Est-ce parce que l'on joue chaque semaine au loto que l'on est dépendant ?

    "Les jeux addictifs sont des jeux de sensations"

    Non. Ou plutôt, cette dépendance ne serait pas une addiction au sens plein. Il y manque les ennuis qui font que l'on veut arrêter, et la "centration", qui ferait que la pratique du jeu devienne le centre de l`existence. Les jeux addictifs sont des jeux "de sensations", à résultat instantané, comme les machines à sous, et non des jeux de rêve, à résultat différé, comme le loto ou l'euromillion.

    Que pensez vous de la campagne de la française des jeux pour avertir les joueurs ? Est-ce utile ?
    Cette campagne est très utile, mais de façon indirecte : elle va aider tout le monde à comprendre que le jeu peut être un problème, et que la dépendance existe. La FDJ (Française des Jeux), c'est 40 000 points de vente, qui vont être fermés, et qui sont des relais d'opinion. Les cartes à gratter et les tickets de loto vont sensibiliser tout le monde. Par contre, ça ne changera pas les habitudes de jeu, surtout des joueurs pathologiques...

    Marc Valleur
    : Merci des questions. Il y aurait eu bien d'autres choses à dire...

    En savoir plus : vos témoignages sur les addictions

    Le site de l'hôpital Marmottan, centre de soins et d'accompagnement des pratiques addictives

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