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Janvier 2008
Dr Batel et S. Nédélec : "On peut vivre mieux sans alcool"
Serge, pouvez-vous nous raconter votre histoire et votre rencontre avec le Dr Batel ? Serge Nédélec : Je suis né en 1961 à
Brest et j'ai commencé à boire vers 13 ans, j'aimais l'ivresse et
je suis un peu tombé dedans. Ceci ne m'a pas empêché de faire
des études puis de travailler normalement mais à l'âge de
31 ans, en 1992, j'ai dû reconnaître que j'étais alcoolique.
Mais ensuite j'ai mis beaucoup de temps pour accepter de me soigner vraiment. Aujourd'hui, est-ce que vous vous considérez guéri ? S.N. : Oui je me considère guéri au sens où
je ne ressens plus du tout l'envie de boire de l'alcool et que j'attribue à
mon abstinence ma capacité retrouvée à vivre. Pour les médecins
ou de nombreux mouvements on ne guérit pas cette maladie. Comme je me sens
libre de m'abstenir de boire, je me sens guéri.
Quelles sont les conséquences à long terme de l'alcool sur la santé ? P.B. : Sur la santé physique : 1/3 des cancers sont
en lien avec une consommation excessive d'alcool. Les cancers de la gorge et du
foie sont au premier rang, sur le foie, le pancréas et tout le tube digestif
on peut avoir des conséquences négatives dès 4 verres d'alcool
en moyenne par jour pour les hommes et 3 pour les femmes. L'hypertension artérielle
et ses conséquences (infarctus du myocarde, accident vasculaire) sont aussi
des conséquences fréquentes.
Philippe Batel : il n'y a sûrement
pas un gène mais un groupe de gènes qui prédispose certains
sujets à développer des conduites à risque ou une dépendance
à un produit psycho-actif. Il est probable que le déterminisme génétique
ne soit responsable que de 30% du déterminisme. Comment se rend-on compte que l'on est dépendant de l'alcool ? S.N. : J'ai vraiment réalisé que j'avais un problème
avec l'alcool quand je me suis aperçu que j'avais besoin de boire chaque
jour, que je ne pouvais pas imaginer passer une soirée sans boire au moins
un peu d'alcool. P.B. : On peut s'inquiéter aussi lorsqu'on constate
qu'à la fin d'une soirée, on a plus bu que ce que l'on prévoyait
ou qu'on a négligé des choses que l'on doit faire (aller au travail,
s'occuper de ses enfants, nourrir un animal) à cause de l'alcool (on n'est
pas en état) ou pour boire. Comment aider ma compagne alcoolique ? Je n'arrive pas à lui en parler, elle s'énerve à chaque fois que j'aborde le sujet. P.B. : Trois conseils simples (et souvent efficaces) pour parler
d'alcool avec un proche atteint. Quel moment à été le plus éprouvant pour vous, Serge, dans votre "cure" ? Des situations particulièrement difficiles à vivre ? S.N. : Je n'ai pas fait de cure de désintoxication au sens où on l'entend habituellement dans un hôpital, mes différents sevrages de l'alcool se sont faits à domicile avec un suivi à l'hôpital Beaujon sous la forme de rendez-vous. Ce n'est jamais cette période de sevrage qui a été difficile pour moi, avec un peu de Valium et un arrêt de travail, je dormais beaucoup mais c'est tout. Par contre une fois sevré ce qui était difficile pour moi c'était d'accepter de vivre abstinent de consommation d'alcool. C'est cette difficulté qui me faisait replonger. Jusqu'au jour où j'en ai eu vraiment marre de replonger et que j'ai accepté d'aller voir, sur les conseils du Docteur Batel, un mouvement d'entraide : Narcotiques Anonymes. Il m'a montré très concrètement que l'on pouvait vivre mieux en restant abstinent de produits psychotropes. C'est grâce à NA que depuis maintenant deux ans et huit mois je suis totalement abstinent de produits et ma vie est redevenue beaucoup plus intéressante. Pensez-vous que la famille soit la mieux placée pour parler avec un alcoolique ? P.B. : La famille est "malade avec" l'alcoolodépendant. Malade de la dépendance à l'alcool de l'autre. Elle s'inquiète, s'impatiente pour un changement qui ne vient pas, s'épuise des promesses non tenues etc. Alors elle est à la fois la plus proche placée pour accompagner le malade mais parfois elle n'est pas la plus efficace avec les tensions, les rancurs, les déceptions accumulées au fil des jours et des bouteilles, qui ne permettent pas d'aborder une aide librement. L'entourage doit se faire aider lui-même pour être opérationnel, dans des groupes dits de l'entourage ou à Alanon, mouvement issu des alcooliques anonymes pour l'entourage. Pourquoi est-on dépendant à l'alcool plutôt qu'à autre chose (autre drogue, jeux vidéos, télé...) ? P.B. : Sans doute pour des questions culturelles, historiques et économiques dans notre pays : c'est un produit licite, très accessible, jouissant d'une excellente image sociale. Le déterminisme de l'alcool versus d'autres produits psycho-actifs est essentiellement lié à l'offre. Les effets aussi sont intéressants car ils se modifient avec la dose. Ils vont de l'excitation du cerveau à faible dose jusqu'à la sédation (le ralentissement) à hautes doses. Les autres produits stimulants comme les amphétamines ou la cocaïne ou ralentissants comme le cannabis ou les benzo n'ont qu'un seul type d'effets. Ma maman est alcoolique et j'aimerais savoir si cela a un rapport quelconque avec ma consommation. Nous sommes 7 enfants dans notre famille et sur les 7 nous sommes 4 alcooliques...
S.N. : Bien sûr, le contexte familial joue un rôle très important dans l'alcoolodépendance. Dans mon cas par exemple mon père, mes oncles étaient très malades de ça, mon frère aîné aussi. Par contre le chemin pour s'en sortir est propre à chacun, il est préférable de se centrer sur ce que chacun peut faire plutôt que de vouloir à tout prix faire quelque chose pour un autre membre de la famille. Dans mon cas, mon exemple de cheminement et de rémission de la maladie alcoolique a aidé mon frère aîné indirectement à s'en sortir, il a même fait mieux que moi, il s'est arrêté tout seul. Il m'arrive d'utiliser l'alcool pour combattre mon stress. En quoi est-ce problématique par rapport à des anxiolytiques ? P.B. : Les anxiolytiques, comme l'alcool, peuvent engendrer
une dépendance. Le problème avec l'alcool utilisé comme anxiolytique
c'est un effet pervers car dans un premier temps il "soigne" l'anxiété
en en diminuant les symptômes. Mais au long cours, il augmente paradoxalement
la fréquence et l'intensité des crises anxieuses, engendrant donc
une véritable dépendance.
Vers qui envoyer un ami alcoolique ? S.N. : Par rapport à un ami alcoolique, le mieux c'est de l'accompagner vers un médecin ou un service d'alcoologie en l'aidant à prendre un rendez-vous, voire en l'accompagnant physiquement à ce premier rendez-vous. Une autre solution intéressante est aussi de l'aider à entrer en contact avec un groupement d'entraide du type Vie Libre ou Alcooliques Anonymes, Alcool Assistance, Croix Bleue où il pourra rencontrer des personnes qui ont un vécu avec cette maladie et ont une histoire à partager, de même qu'un espoir : celui de vivre mieux sans boire. Existe-t-il des associations pour aider les compagnons et compagnes de personnes alcooliques ? P.B. : Oui, Alanon et Alateen ou bien les groupes entourage de l'association Alcool assistance. Dans des services hospitaliers d'addictologie comme le mien on accueille et accompagne la famille. Sur le site de site de la MILDT (www.drogues.gouv.fr) il existe un forum pour les familles.
A lire
"Alcool: de l'esclavage à la liberté" Dr Philippe Batel et Serge Nédélec Editions Demos, 272 pages, 20 €.
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