Viande rouge et cancer : "le risque concerne uniquement les gros consommateurs"

L’OMS appelle à limiter la consommation de viande rouge et de charcuteries en raison d’un probable risque cancérogène. Décryptage de Fabrice Pierre, chercheur à l’Inra.

Viande rouge et cancer : "le risque concerne uniquement les gros consommateurs"
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Saucisses, jambon, hot-dogs… et dans une moindre mesure, les viandes à l'exception de la volaille, pourraient favoriser le cancer, selon une étude de l’OMS. En se basant sur plus de 800 études, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe la charcuterie, dans la catégorie des agents "cancérogènes", tandis que les viandes rouges (y compris le porc et le veau) sont classées "probablement cancérogènes". C’est le cancer colorectal qui est plus souvent associé.

Les explications du Dr Fabrice Pierre, responsable de l’équipe de Prévention et de Promotion de la Cancérogenèse par l’Alimentation à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et conseiller scientifique à l’Institut national du cancer (Inca).

Etes-vous surpris des conclusions de l’OMS ?

"Non, ce rapport n’est pas une surprise et n’apporte pas de données nouvelles. Il vient en fait conclure une série d’études qui ont permis d’accumuler une série de données depuis plusieurs années. Ce bilan de l’OMS, avec lequel je suis d’accord, fournit donc un bilan exhaustif sur l’effet cancérogène de la viande et des charcuteries", développe le Dr Fabrice Pierre.

La viande rouge et les charcuteries augmentent-elles le risque de cancer ?

La réponse est Oui. "Avec ce niveau de preuve supplémentaire, le CIRC confirme bien leurs effets cancérogènes, affirme Fabrice Pierre. Toutefois, une fois qu’on a établi un lien, il faut le qualifier. Premier constat : la viande rouge n’augmente pas le risque de développer tous les types de cancer. Pour l'heure, les données sont fiables et établies en ce qui concerne le risque de cancer colorectal. Dans une moindre mesure, la consommation de viande rouge accroit aussi le risque de cancer de l’estomac, du pancréas et de la vessie, mais aussi de cancer du sein."

Tous les cancers ne sont donc pas concernés, mais, remarque le chercheur, "comme ce sont des cancers avec des prévalences importantes, il ne faut pas les négliger." Rappelons en effet que le cancer colorectal est le 3e cancer le plus fréquent et le 2e le plus meurtrier (17 500 décès chaque année).

Faut-il arrêter de manger de la viande ?

Le risque existe et a bien été validé par l’OMS, à ceci près qu'il ne concerne pas toute la population. "C'est la deuxième nuance qu'il faut apporter : au niveau individuel, pour une consommation habituelle de viande et de charcuterie, le risque n’est pas avéré, rassure Fabrice Pierre. Il ne faut donc en aucun cas alarmer les personnes dont la consommation de viande est modérée." En d’autres termes, c’est seulement le fait d’en manger excessivement qui pose problème. "Seuls les gros consommateurs de viande et de charcuteries ont un sur-risque de cancer. Cela correspond quand même à 25% des Français, donc cela reste un problème de santé publique."

Dans le détail, le risque augmente de 18 % pour une consommation de viande supérieure à 500 g par semaine et pour une consommation de charcuterie supérieure à 50 g par jour. Sachant qu’un steak ou qu’une portion de viande pèse entre 100 et 150 g, cela implique de manger de la viande entre 4 et 5 fois par semaine. On peut donc tout à fait consommer de la viande et de la charcuterie en moindre quantité. Et même s’il nous prend l’envie de déguster une côte de bœuf de 300 g, ce n’est pas problématique, à condition de ne pas le faire tous les jours.

Comment interpréter cette augmentation de 18% ?

Ce chiffre est à relativiser. "Si vous comparez avec le tabac, cela n’est pas énorme", note Fabrice Pierre. La preuve : fumer augmente de 50% le risque de cancer du poumon. En outre, si environ 40% des cancers sont liés à de mauvaises habitudes liées à notre mode de vie, comme le tabac mais aussi la consommation d’alcool, l’alimentation déséquilibrée ou encore l’exposition aux UV, tous n’ont pas le même impact. Le tabac est de loin le premier facteur de risque : 80% des cancers du poumon sont imputables au tabac !

De même, la comparaison avec l’alcool est très parlante : en terme de mortalité, l’impact de l’alcool sur l’augmentation du risque de cancer est bien plus important que celui lié à la viande. "Au niveau international, on observe 1 million de décès imputables au tabac, 600 000 à l’alcool et entre 50 et 60 000 à la consommation de viande et de charcuteries."

Est-ce que la viande d’élevage est préférable à la viande industrielle ?

La réponse est non. En effet, "que vous achetiez votre viande chez le boucher ou au supermarché, peu importe puisque l’effet cancérogène est lié la composition de la viande rouge en fer, nous explique le chercheur. Or la quantité de fer est impactée par la race mais pas du tout par les réseaux de distribution."

La cuisson joue-t-elle un rôle ?

"Ce que l’on sait c’est que la cuisson à haute température, type barbecue, est génotoxique, c’est-à-dire qu’elle provoque l’apparition de composés potentiellement cancérogènes. Cependant des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer la relation avec le risque de cancer. Dans le doute, il est préférable quand même de limiter ces modes de cuisson."

Que peut-on faire pour limiter les risques ?

"Plusieurs travaux, que nous menons à l’INRA prouvent que l’on peut se protéger du sur-risque de cancer en faisant attention à notre alimentation", avance Fabrice Pierre.

Pour contrebalancer le risque, il faut ainsi diminuer les portions de viandes et de charcuterie, tout en augmentant celles de fruits et légumes. "Nous avons de très bons résultats dans ce sens avec une étude menée sur des femmes qui ont de bons choix nutritionnels et qui voient leurs risques minimisés." De même, l’étude SU.VI.MAX, menée par Serge Hercberg (2014) suggère que la consommation de charcuteries et de viande rouge serait associée à un risque accru de cancer du sein. Mais, elle suggère également que les antioxydants pourraient moduler cette association en contrecarrant les effets potentiellement pro-cancérigènes des charcuteries sur le risque de cancer du sein. Autrement dit, en associant des fruits et légumes, on diminue les risques.

D’où vient cette action bénéfique des fruits et légumes ?

Il faut comprendre que c’est le fer, contenu dans la viande et les charcuteries, qui est impliqué dans l’apparition de cancers. En effet, lorsque le fer alimentaire arrive dans le côlon, il va oxyder les lipides des aliments ingérés pour former des composés toxiques, qui ont un effet cancérogène sur les cellules épithéliales du côlon. "Mais si on limite la formation de ces toxines dans le côlon, alors on peut limiter le risque de cancer". D'où l'effet protecteur des antioxydants que l’on trouve dans les fruits et légumes.

Et si on n'arrive pas à manger 5 fruits et légumes par jour ?

En effet, manger des fruits et légumes pour limiter les risques de cancer du côlon a des limites. "Les recommandations nutritionnelles ne sont suives par tous. On sait même qu’elles ne sont audibles que par les catégories socio-professionnelles supérieures. Donc, on loupe finalement la cible qui nous intéresse, à savoir les plus gros consommateurs de viandes, de hotdogs et autres burgers… donc davantage exposés au risque de cancer."

Pour cette raison, Fabrice Pierre travaille depuis quelque temps déjà avec la filière de la viande au niveau national pour modifier les viandes et donc le risque de cancer. L’idée étant d’ajouter des antioxydants directement dans la viande, au moment de la fabrication. "D’après de premiers résultats obtenus en 2013, nous avons montré que c’est suffisant pour limiter la cancérogénèse. Mais évidemment cela prend du temps. Pour l’heure, ce n’est pas encore applicable. En tout cas, la filière bovine est tout à fait consciente de ce problème de santé publique et l’a déjà intégré."