Somnifères et maladie d'Alzheimer : des résultats à relativiser

Prendre des benzodiazépines pour s'endormir augmenterait de 51 % le risque de développer la maladie d'Alzheimer. Une étude qui devrait encourager les Français à diminuer leur consommation. Du moins en théorie. Eclairage de la spécialiste du sommeil, le Dr Sylvie Royant-Parola.

Somnifères et maladie d'Alzheimer : des résultats à relativiser
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Alors que la consommation de somnifères des Français est déjà dans le rouge, une étude franco-canadienne menée pendant 6 ans par des chercheurs de l'Inserm et publiée dans le British Medical Journal (BMJ) fait le lien avec le risque de développer la maladie d'Alzheimer après 65 ans. 

Selon les chercheurs de l'Unité Inserm 657, prendre des benzodiazépines pendant trois mois ou plus est associé à un risque accru (jusqu'à 51 %) de développer ultérieurement la maladie d'Alzheimer. Et pour la première fois, l'étude montre que c'est surtout leur utilisation sur une longue période qui pose problème. "La force de l'association augmente avec la durée de l'exposition", explique Sophie Billioti de Gage, chercheur à l'Inserm. En conclusion, les chercheurs recommandent donc de contrôler la bonne utilisation de ces molécules en limitant les prises aux périodes pour lesquelles elles sont recommandées. 

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Médecin, psychiatre, spécialiste du sommeil, le docteur Sylvie Royant-Parola, est Présidente du réseau Morphée. © DR

Des résultats à relativiser. Pour le Docteur Sylvie Royant-Parola, psychiatre et spécialiste du sommeil, cette étude doit être analysée avec prudence car elle comporte un certain nombre de biais méthodologiques. Par exemple, elle s'intéresse uniquement aux somnifères de la famille des benzodiazépines. "Pourquoi avoir exclu certains somnifères très prescrits comme le Stilnox® et l'Imovane® ?, s'étonne-t-elle. "De plus, on ne sait pas bien pourquoi une très grande partie des patients de l'échantillon de départ a été exclue de l'étude."

Quant aux résultats, qui peuvent sembler à première vue très surprenants, il faut les prendre avec du recul. "En réalité, si on considère que le risque de développer une maladie d'Alzheimer est d'environ 2 à 3 %, la prise de somnifères fait monter ce risque entre 2,6 et 4,5 %, relativise la spécialiste. J'ajoute par ailleurs que d'autres études, dont une publiée l'année dernière, contredit ces résultats et ne montre aucun lien entre benzodiazépines et apparition de la maladie d'Alzheimer."

"Au final, cette étude pointe des messages de bonnes pratiques très importants et c'est très bien. Mais, l'étude présentant un certain nombre de biais, il faut rester prudent quant à son interprétation".

Rappelons que les autorités de santé recommandent d'utiliser les benzodiazépines sur une courte durée. Pas plus de 4 semaines en cas de troubles du sommeil occasionnels et entre 8 et 12 semaines en cas de troubles du sommeil sévères accompagnés d'anxiété notamment.

Des patients insomniaques qui ne peuvent pas se passer de somnifères. Bien sûr, il faut éviter que les prescriptions soient renouvelées des mois, voire des années, mais en réalité, la situation est loin d'être aussi simple. "Certains patients qui souffrent d'une insomnie chronique sévère n'arrivent malheureusement pas à faire autrement que de prendre des somnifères tous les soirs, décrit Sylvie Royant-Parola. Leur détresse est tellement grande que s'ils veulent réussir à assumer leurs responsabilités, ils n'ont pas d'autre solutionEt puis dans tout traitement, il y a toujours des bénéfices et des effets indésirables. Alors oui, il y a peut-être des risques, même s'ils ne sont pas prouvés, mais il faut se mettre à la place de certains patients pour qui ces médicaments représentent une béquille qui leur permet d'avancer !"

Peu d'alternatives pour traiter les insomnies chroniques. C'est aussi le manque de traitements qui pose problème. Aujourd'hui en effet, seules les thérapies comportementales et cognitives présentent des résultats probants. "Mais nous manquons de professionnels formés et il existe beaucoup d'endroits sur le territoire où il est impossible d'avoir recours à ces thérapies, souligne le Dr Royant-Parola. Et puis, entreprendre une thérapie, ce n'est pas aussi "simple" que de prendre un médicament. Cela demande l'implication et l'adhésion du patient. Et selon le professionnel que l'on consulte, la prise en charge n'est pas la même. Les consultations avec les psychologues ne sont pas remboursées. Donc cela peut aussi représenter un coût non négligeable."

La France, mauvaise élève ? Oui mais comment se fait-il que nous soyons toujours les premiers du classement en matière de consommation de somnifères ? Qu'est-ce qui cloche chez nous ? Pour Sylvie Royant-Parola, la situation n'est pas aussi catastrophique qu'elle n'y paraît, la France enregistrant même une consommation à la baisse depuis quelques années. "C'est bien de faire des classements, mais le problème c'est qu'il faut alors prendre en compte tous les sédatifs, y compris l'alcool ou le cannabis, relève-t-elle. Il faut se demander, comment les gens gèrent leur mal-être et leur anxiété ailleurs ? Dans les pays anglo-saxons par exemple, les gens utilisent davantage les antidépresseurs et les neuroleptiques pour dormir. Personnellement, je préfère prescrire une benzodiazépine qu'un neuroleptique, qui peut donner des dystonies après plusieurs années de traitement. Quant à prendre un whisky tous les soirs pour trouver le sommeil, est-ce vraiment une meilleure solution ?"

Prescriptions inappropriées. Mais face aux insomniaques chroniques sévères, il y a aussi les "petits" insomniaques, qui se retrouvent parfois avec des prescriptions de somnifères, pas toujours justifiées. "Oui, c'est sûr qu'il y a des abus et prendre un somnifère, c'est un peu dans leur cas une solution de facilité. Avec le risque de les chroniciser avec des prescriptions que l'on reconduit sur de longues périodes", confirme la spécialiste du sommeil. Alors, que leur conseiller pour ne pas tomber dans cet engrenage ? "Je crois que le plus souvent, les gens ont tellement peur de ne pas assez dormir qu'ils essaient à tout prix de rattraper leur sommeil. Les insomniaques ont alors tendance à se coucher tôt, trop tôt. Et de prolonger leur sommeil leur matin. Résultat : ils passent beaucoup trop de temps dans leur lit, parfois jusqu'à 10 ou 12 h. Mon conseil, c'est de se coucher plus tard et de se réveiller à des heures régulières, avec un temps de sommeil de 7h maximum. Au bout de quelques semaines, le temps de sommeil va se concentrer de nouveau et la qualité va s'améliorer. Mais cela prend du temps et un accompagnement médical est nécessaire. Il ne faut pas hésiter à en parler."

Ne pas arrêter brutalement ses somnifères. On ne met pas fin à un traitement de benzodiazépine du jour au lendemain. Cela se fait sur plusieurs semaines afin d'habituer progressivement les récepteurs cérébraux. Le Dr Royant-Parola est formelle : "si on arrête brutalement, le mal-être et l'anxiété augmentent, ce qui pousse souvent les gens à reprendre des somnifères. Mais le problème, c'est qu'ils sont alors moins efficaces et que cela les contraint à augmenter les doses..." Un cercle vicieux en somme. "Arrêter un somnifère demande un vrai accompagnement. J'ajouterai qu'il faut le faire à un moment où l'on n'est pas vulnérable. Sinon mieux vaut attendre."

Demain, les somnifères moins bien remboursés ? Fin août, la HAS estimant que les somnifères n'étaient pas efficaces, recommandait une baisse de leur remboursement de 65 % à 15 %. "On met là les médecins dans une situation paradoxale alors même qu'on n'a pas d'autres solutions", déplore Sylvie Royan-Parola. Avant d'ajouter : "l'impact va finalement se porter sur les mutuelles mais comment feront ceux qui n'en ont pas ? Ce n'est pas en baissant le remboursement de ces médicaments que l'on va résoudre le problème. Est-ce qu'on veut que les gens se reportent sur des solutions inefficaces et hors de prix, telles que celles que l'on peut voir sur les comptoirs des pharmacies ?"

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