La polémique autour du dépistage du cancer du sein expliquée

Et si les mammographies préventives systématiques faisaient plus de tort que de bien ? A l'occasion d'octobre rose, le mois de prévention du cancer du sein, revenons sur cette controverse qui pointe les limites du dépistage organisé du cancer du sein.

La polémique autour du dépistage du cancer du sein expliquée
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En France, le taux de participation au dépistage organisé stagne : en 2014, plus de 2,5 millions de femmes ont participé au programme de dépistage, soit seulement une femme sur deux. A l'occasion de la dernière édition d'octobre rose, le ministère de la Santé évoquait deux raisons à cela. La première, c'est que certaines femmes issues de milieux sociaux défavorisés sont moins informées, plus précaires et donc, tenues à l'écart des campagnes. La seconde, c'est la controverse, apparue il y a près de 10 ans, autour de l'intérêt des mammographies. Car au-delà des inégalités sociales d'accès au dépistage organisé, la mammographie suscite des inquiétudes, mais aussi des doutes, alimentés régulièrement par des études scientifiques, quant à son utilité. Le dépistage comportant en effet certaines limites, notamment le surdiagnostic. Explications.

A quoi sert le dépistage organisé du cancer du sein ?

Alors que le cancer du sein touche aujourd'hui une femme sur huit (49 000 nouveaux cas et 12 000 morts prématurés chaque année), se faire dépister le plus tôt possible multiplie les chances de guérison, tout en bénéficiant de traitements moins contraignants, à savoir moins lourds et moins mutilants, donc moins anxiogènes. "Dépisté tôt, le cancer du sein est guérit dans 9 cas sur 10", assure ainsi l'Institut national du cancer (Inca). Selon le ministère de la Santé, la campagne est efficace : l'analyse des études les plus récentes estime la réduction de la mortalité par cancer du sein de 15 % à 21 %. De plus, 150 à 300 décès par cancer du sein seraient évités pour 100 000 femmes participant régulièrement au dépistage pendant 7 à 10 ans. En France, toutes les femmes âgées de 50 à 74 ans peuvent ainsi bénéficier gratuitement et tous les deux ans de mammographies.

Pourquoi le dépistage organisé fait polémique ?

Mais depuis plusieurs années, le dépistage organisé du cancer du sein est remis en cause par des études scientifiques. L'objet de la polémique est double : non seulement le bénéfice du dépistage organisé (c'est-à-dire la réduction de la mortalité par cancer du sein) serait insuffisant. Mais en plus, les mammographies dépisteraient trop de cancers du sein, en particulier certaines lésions précancéreuses de stade 0, appelées "carcinomes in situ", qui correspondent à des cellules cancéreuses "dormantes", pouvant évoluer en cancer... ou pas. En somme, la découverte d'un "petit cancer" ne signifie pas nécessairement qu'il va évoluer en "gros cancer". Sur les 15% de lésions précancéreuses dépistées dits "cancers in situ" (soit un peu plus de 2 000 chaque année) parmi l'ensemble des cancers dépistés dans le cadre du dépistage, 10 à 30% seraient pris en charge à tort. 

Peut-on éviter des traitements inutiles ?

La mise en place du dépistage organisé a donc conduit à une augmentation de la proportion de ces cancers du sein de stade très précoce (de 5 % à 20 % entre 1980 et aujourd'hui). En théorie, c'est positif puisque leur prise en charge précoce est efficace, avec un taux de survie à 5 ans de 100%. Mais le problème, c'est qu'elle implique des examens (biopsie) et traitements (tumorectomie...) anxiogènes, dont les effets peuvent être lourds en termes d'effets secondaires et de séquelles physiques et psychologiques. D'où un débat qui resurgit régulièrement sur le dépistage, source potentielle de sur-traitements. La question étant de savoir : faut-il continuer à intervenir ou simplement proposer une surveillance régulière dans le cas des lésions précancéreuses très précoces ? Selon l'Institut Curie, l'attitude à adopter doit être  évaluée de façon scientifique. Autrement dit, elle nécessiterait la mise en place d'une étude encadrée sur plusieurs années, impliquant un nombre suffisant de patientes. 

Quelle est la position des autorités de santé en France ?

Les autorités de santé ne nient pas le problème des surdiagnostics. Mais dans l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'y a pas d'alternative au dépistage : "le diagnostic ne permet pas de distinguer les cancers qui vont évoluer, et qui sont majoritaires, de ceux qui évolueront peu ou qui n'auront pas de conséquence pour la femme concernée", explique l'Inca, qui a lancé en octobre dernier un site de concertation, visant à aborder les limites du dépistage organisé. Donc, par précaution, il est proposé de traiter l'ensemble des cancers détectés, même si cela entraîne un "sur-traitement".

Vraiment bénéfique pour diminuer la mortalité par cancer du sein ?

En mettant en place le dépistage organisé, les autorités de santé s'étaient appuyées au départ sur des études qui estimaient qu'il pouvait réduire de 30% la mortalité par cancer du sein. Aujourd'hui, l'Inca communique sur une réduction de 15 à 21% de la mortalité et sur 150 à 300 décès évités pour 100 000 femmes participant régulièrement au dépistage pendant 10 ans.

Selon une enquête danoise de la Collaboration Cochrane (indépendante), publiée pour la première fois en 2000 et régulièrement réévaluée depuis, le taux de mortalité des femmes dépistées ne serait guère différent de celui des autres femmes, ne participant pas au dépistage organisé. Récemment, en 2014, une étude canadienne a relancé la polémique autour de l'intérêt des campagnes de dépistage organisé. Dans cette étude publiée dans le British Medical Journal, 90 000 femmes âgées de 40 à 59 ans, ont été suivies pendant 25 ans. Principale conclusion : au terme de l'étude, 500 décès par cancer du sein étaient survenus chez les 44 925 femmes suivies par mammographies, contre 505 décès chez les 44 910 femmes du groupe témoin.

Le dépistage organisé utile ou pas : comment participer au débat ?

La polémique, alimentée par la publication d'études scientifiques, a amené le ministère de la Santé à lancer une grande concertation citoyenne afin de réfléchir au dépistage à l'occasion d'octobre rose. Le site www.concertation-depistage.fr, ouvert jusqu'au 15 mars, est "destiné à recueillir un maximum de contributions, d'avis et de points de vue sur le dépistage". Objectif : "améliorer la politique de dépistage du cancer du sein en donnant la parole aux citoyennes et aux citoyens, mais aussi aux différents acteurs du dépistage". Tous les acteurs sont amenés à participer sur un site internet. Les résultats seront connus en juin prochain. "L'année prochaine, pour la saison 2016 "d'Octobre rose", nous vous présenterons une feuille de route pour faire évoluer la politique de dépistage", avait assuré à la presse la ministre de la Santé, Marisol Touraine, en octobre dernier.

En savoir plus

Consulter le site de l'Institut national du cancer, e-cancer.fr

Le dossier cancer du sein du site de l'Institut Curie, curie.fr

Les études danoises (Cochrane) sur le dépistage du cancer du sein


La prochaine émission de la série "Le Monde En Face", #LMEF,  présentée par Marina Carrère D'Encausse, et dont le Journal des Femmes est partenaire, aura pour thème le dépistage du cancer du sein. Diffusion du documentaire "Au nom de tous les seins, incertain dépistage", le 12 janvier à partir de 20h40.