Laetitia Mendes : "me faire retirer les seins m'a permis de prendre le dessus sur le cancer"

Porteuse d'un gène de prédisposition au cancer du sein, Laetitia Mendes est la première Française à avoir opté en 2008 pour la solution radicale : se faire retirer ses deux seins pour faire chuter le risque de développer un jour un cancer. Mais c'est la médiatisation de l'opération d'Angelina Jolie, l'année dernière, qui a été un déclencheur pour révéler son histoire. Elle se livre dans un ouvrage, "Mon petit gène, ma seconde chance", aux éditions Anne Carrière. Rencontre.

Laetitia Mendes : "me faire retirer les seins m'a permis de prendre le dessus sur le cancer"
© Droit Réservé: Krystel marques

Elle est féminine, coquette, souriante... C'est aussi une battante, pleine d'énergie et résolument optimiste. Et ça se ressent dans tout son être : sa bonne humeur est communicative. Pourtant elle porte en elle une histoire lourde, faite de "montagnes russes", comme elle dit. Dans sa famille, les femmes ont 50 % de risque d'être porteuses du gène de prédisposition au cancer du sein. Laetitia l'a toujours su : son arrière-grand-mère et sa grand-mère en ont été les victimes. Aussi vit-t-elle depuis toujours avec cette hantise de tomber, peut-être, un jour malade. En 2006, elle perd sa maman. La jeune femme a fait le test de dépistage un peu plus tôt : elle aussi est porteuse de la mutation génétique. Sans hésiter, elle décide d'opter pour la solution la plus radicale : se faire retirer ses deux seins. A l'époque, les médecins français sont frileux. Et la mastectomie préventive est taboue. Mais Laetitia est déterminée : elle veut trouver des solutions pour ne surtout pas subir son sort. Après avoir multiplié les recherches et s'être documentée aux Etats-Unis où cette opération chirurgicale est déjà pratiquée, elle réussit à convaincre un chirurgien de l'Institut Curie. On est en 2008, elle devient la première Française à choisir la mastectomie préventive. Six ans plus tard, la jeune femme raconte son histoire dans un ouvrage intitulé "Mon petit gène, ma seconde chance", paru le 17 octobre aux éditions Anne Carrière.

 
Il y a dix ans, vous avez choisi de vous faire dépister pour savoir si vous étiez porteuse du gène défectueux. C'était une évidence pour vous ?  
Laetitia Mendes : Oui complètement et en réalité, c'était un choix motivé par ma maman. Lorsqu'elle a appris qu'elle était porteuse du gène, elle nous a sensibilisées, ma sœur et moi, sur le fait qu'il était important de savoir. Elle nous a dit que si elle-même avait pu le faire avant de tomber malade, elle l'aurait fait. Elle voulait évidemment nous protéger. J'ai reçu son appel comme un devoir, pour moi bien sûr, mais aussi pour motiver ma petite sœur. C'était important qu'on fasse ce test toutes les deux, ensemble.
 

"Instinctivement, je savais que j'étais porteuse du gène muté."

Le test se révélera positif pour vous et pour votre sœur. Qu'avez-vous ressenti à ce moment-là ?

C'est étrange parce que même si on s'accroche toujours à un espoir, je pense que je savais instinctivement que c'était en moi. Depuis toujours, je vivais avec cette terreur, de tomber un jour malade. Mon arrière-grand-mère, ma grand-mère, puis ma mère avaient toutes eu un cancer du sein. La surveillance médicale avait toujours été présente et pesante pour moi. Et elle ne me suffisait pas. Je savais que si le test était positif, je ne m'arrêterais pas là et que je me ferais retirer les seins. Et puis, est-ce que c'est un signe ou pas, mais j'ai appris quasiment au même moment que j'étais enceinte. Je crois que c'est ce qui a tout de suite motivé ma décision d'aller plus loin et de faire retirer mes seins.

C'était il y a 10 ans. A l'époque personne en France n'avait subi cette intervention préventive. Comment y avez-vous pensé ?
J'avais la chance de travailler comme chargée de communication à l'ARC [Fondation pour la recherche sur le cancer, NDLR]. Pour moi, c'était évidemment un plus : j'avais un accès privilégié à toutes les informations touchant au cancer du sein. Je savais donc que la mastectomie préventive était très pratiquée aux Etats-Unis. Même si j'étais consciente des conséquences physiques de cette opération mutilante, je savais aussi que ça fonctionnait. Et surtout qu'elle permettait de réduire les risques de cancer du sein à 5 %. Un chiffre tellement insignifiant dans mon cas puisque mon risque était de 90 % !

"J'étais pionnière et je savais que j'avais un rôle à jouer."

Vous étiez une pionnière en France et vous n'aviez que 26 ans. Qu'est-ce qui vous a décidé à passer le cap de l'opération ?
J'étais été poussée par ma maman. A ce moment-là son état s'aggravait, elle sentait qu'on n'avait pas le soutien des médecins et elle m'a donné la force de les convaincre. Je voulais aussi le faire pour ma fille. C'était un peu comme un instinct de survie. Je n'imaginais pas de la laisser orpheline, ni même de la laisser grandir avec cette hantise et ce poids de la maladie que moi, j'avais toujours connu. Je ne voulais pas qu'elle vive dans la terreur. Au contraire, je voulais lui donner un message optimiste et aller au-devant de ses peurs. Enfin je prenais le dessus sur cette maladie et je me disais qu'il y avait des solutions. Enfin je n'étais plus impuissance face à ce destin. En tant qu'ainée je me sentais aussi dans le devoir de le faire pour ma petite sœur. Et au-delà, pour toutes les femmes porteuses de cette mutation. Oui, j'étais pionnière et je savais que j'avais un rôle à jouer. Je ne pouvais pas renoncer.

Avec la chirurgie commence une nouvelle épreuve : celle de l'opération et de ses séquelles physiques. Mais surtout c'est la perte de vos seins et d'une partie de votre féminité...
Je savais que la mastectomie serait compliquée, mais je crois que je n'avais pas imaginé à quel point. Il faut beaucoup de résilience et de force mentale pour dépasser cette douleur. Et bien sûr, c'est toute mon image qui en a pris un coup. J'avais toujours investi mes seins : pour moi, ils étaient un atout de séduction et j'aimais les mettre en avant. Tout d'un coup, je me suis sentie nue et diminuée. Je ressentais aussi une perte sensitive : quand je serrais ma fille contre moi, ce n'était plus pareil. Les seins c'est le cœur d'une femme. Et puis, il y a eu les prothèses, ce corps étranger qu'il fallait accepter. J'ai donc appris à faire avec au jour le jour, mais ça a pris du temps.

Aujourd'hui, comment vous sentez-vous ?
Je sais que la vie est précieuse et qu'il faut en profiter pleinement. Après 6 ans, j'ai acquis une certaine stabilité. J'apprivoise mon corps et ma nouvelle poitrine, j'ai des astuces pour camoufler et physiquement je ne ressens plus les douleurs. Mais surtout j'ai changé. Je suis une autre femme aujourd'hui. J'ai presque envie de dire que cette opération, cette étape de vie, a été pour moi une renaissance.

"J'avais besoin de me reconnecter à ma féminité."

A tel point que vous avez aujourd'hui une autre profession : vous êtes désormais conseillère en image. Changer de vie, c'était naturel pour vous ?
A vrai dire, l'idée est venue d'un besoin. Avant d'être opérée, j'ai bénéficié d'un accompagnement psychologique pendant six mois. Mais une fois mes seins retirés, plus rien. C'est à ce moment précis que je me suis dit : si seulement il existait des coachs en image pour apprendre à se réapproprier son corps. Et comme je n'ai pas trouvé ce que je cherchais, j'ai décidé de faire le cobaye ! J'avais besoin de me reconnecter à ma féminité et de retrouver ma sensualité. Aujourd'hui, grâce à mon nouveau métier, j'aide les personnes à s'accepter et à se reconstruire au travers de l'image. Je me trouve à ma place et proche d'eux parce que je suis en phase avec le message que je veux renvoyer.

livre laetitia mendes
"Mon petit gène, ma seconde chance."  © Editions Anne Carrière.

Avec ce livre, votre histoire est aujourd'hui médiatisée. Que vous disent les femmes qui vous contactent ?
L'affaire Angelina Jolie a été un vrai déclencheur et m'a fait prendre conscience de l'importance de parler de mon histoire. Et d'aider d'autres femmes par ce biais. Aujourd'hui, je reçois beaucoup d'appels et ma boîte mail explose ! Les femmes sont perdues, elles veulent des détails techniques sur l'intervention, elles ont besoin de savoir ce qui les attend, à quel point c'est dur physiquement, quels sont les impacts sur la vie de couple, etc. Elles sont aussi mortes de trouille et elles veulent juste partager leurs craintes et leurs doutes. D'ailleurs chaque histoire est différente et je respecte leur choix quel qu'il soit. Ce qui compte, c'est que les mentalités évoluent et que les femmes sont mieux informées aujourd'hui qu'il y a dix ans. Et ça vaut toutes les campagnes de dépistage du monde !

Crédit photo : Krystel Marques

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