Les cadenas d’amour : gage de fidélité ou volonté d’emprise ?

Depuis le début des années 2000, les amoureux du monde entier viennent accrocher leurs cadenas d’amour aux grilles des ponts. Faut-il y voir l’image romantique d’un amour qui se rêve éternel ou le désir inquiet de lutter contre les incertitudes du cœur ?

Des cadenas d’amour, on en trouve un peu partout : en Hongrie, en Allemagne, en Italie, en Russie en Corée, à Singapour et bien sûr à Paris sur le Pont des Arts ou sur celui de l’Archevêché. On les vend dans les quincailleries mais aussi, ornés de cœurs ou de fleurs, dans les boutiques de gadgets ou même en ligne sur Internet. On peut les personnaliser, les customiser... Mais l’essentiel, c’est de les accrocher à des grilles,  elles-mêmes installées sur des ponts afin de pouvoir jeter facilement la clé dans le fleuve. Car, bien sûr, ces cadenas d’amour, il n’est pas question de les rouvrir un jour : ils sont censés symboliser le sentiment indestructible, infracturable, unissant ceux qui viennent de les verrouiller.

Des troncs d’arbres aux grilles des pontsJadis, les amoureux dessinaient des cœurs sur les murs ou les gravaient dans un tronc d'arbre avec leurs initiales entrecroisées. Le dessin pouvait s'estomper, la trace laissée sur l'arbre se modifier, l'amour, au fil des années, rester le même, diminuer ou grandir... L'important était ce geste qui, dans le présent, disait la force du sentiment. Mais avec le cadenas, une autre image de l'amour se donne à voir. Celle d'une chaîne à jamais impossible à rompre. Comme si on espérait magiquement conjurer l'avenir, le fermer.  

Sans aller jusqu’à évoquer les ceintures de chasteté dont les maris inquiets gardaient, dit-on, la clé pendant qu’ils s’en allaient guerroyer (le verrouillage des cadenas d’amour est, lui, réciproque et, heureusement, symbolique !), cette "nouvelle coutume" fait penser aux serments de fidélité absolue que certains couples se font au début de leur amour. Ils pensent ainsi se protéger, et protéger l’autre, contre toute tentation qui viendrait les solliciter, contre tout danger de perte ou d’abandon. C’est un pari dangereux car, lorsque la fidélité est posée comme un dogme quasi-sacré, elle ne peut que susciter trouble, angoisse de ne pas être à la hauteur du serment proféré ou désir de transgresser l’interdit. Gage  rêvé d’un amour éternel, elle se transforme alors en contrainte, en moyen de pression sur l’autre, en chantage parfois.

Se choisir plutôt que s’enchaîner  

Les cadenas d’amour pas plus que les serments de fidélité éternelle, ne sont indestructibles. Pire, comme ils menacent, à cause de leur nombre et de leur poids, de faire tomber les ponts, certaines municipalités envisagent de les fracturer puis de les arracher nuitamment par paquets.

Alors les amoureux qui seraient tentés d’y enchaîner leurs sentiments feraient mieux de jeter le cadenas avec sa clé dans le fleuve. Ils laisseraient ainsi leur amour se vivre et se choisir, jour après jour, librement.   

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