"Une insomnie de fin de nuit est un signe de dépression"

La dépression est un mal répandu mais méconnu. Quelles en sont les causes ? Comment aider un proche dépressif ? Est-il possible de s'en sortir ? Xavier Briffault, chercheur en santé mentale au CNRS, a répondu à vos questions sur la dépression lors d'une séance de chat.

"Une insomnie de fin de nuit est un signe de dépression"
© L'Internaute

Quelle est la différence symptomatique entre le coup de blues et la dépression ?
Nous ressentons en permanence toute une gamme d'émotions, qui peuvent être négatives ou positives. La dépression "caractérisée" se situe au-delà et différemment du spectre des émotions habituelles. On peut ainsi être très malheureux sans être dépressif.
Dans la dépression, il y a certes une tristesse importante, mais aussi une souffrance psychologique très importante, un ensemble de symptômes multiples et tout ceci dure longtemps (plusieurs semaines), toute la journée, tous les jours.
 

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Xavier Briffault est chercheur en sociologie et épidémiologique de la santé mentale. Il est également l'un des auteurs de la récente campagne nationale d'information sur la dépression mise en oeuvre par l'Inpes à l'initiative du ministère de la Santé. © DR

Est-ce que vous pourriez préciser ce qu'on entend exactement par le terme dépression ? Quels sont les signes qui peuvent mettre sur la piste ?
La dépression est un état qui se caractérise par une rupture importante avec le fonctionnement habituel de la personne. On y trouve des signes de perturbations importantes de l'humeur, de la pensée, du fonctionnement somatique, de l'intérêt.
On mentionne classiquement 9 grands symptômes parmi lesquels :  

 Une perte d'intérêt complète pour tout ce qui motivait la personne avant sa dépression. Des perturbations du sommeil (insomnie ou au contraire -plus rarement- hypersomnie).

  Un ralentissement psychomoteur : on a du mal à bouger, on n'a pas d'énergie pour se déplacer et ce de façon importante.

 Une tristesse importante qui n'est pas liée à un motif "objectif".

 Des perturbations somatiques, telles que des pertes importantes de poids (5 % du poids du corps en un mois par exemple) ou au contraire une hyperphagie d'aliments sucrés.

  Souvent des pensées morbides : penser fréquemment à la mort, voire avoir des pensées suicidaires, qui peuvent se traduire par des actes suicidaires.
Lorsqu'on est dépressif, plusieurs de ces symptômes sont présents en même temps et de façon quasi continue.

Peut-on être dépressif sans le savoir ou du moins sans s'en rendre compte ?
Les personnes qui présentent une dépression ressentent une souffrance particulièrement intense, et des symptômes (voir ci-dessus) multiples qui normalement ne trompent pas. Cependant, ces différents signes peuvent être interprétés comme les effets d'une situation difficile ou ne pas être identifiés dans leur ensemble. Il en résulte que de nombreuses personnes dépressives ont du mal à s'identifier comme telles et ont du mal à présenter leurs symptômes aux professionnels qu'elles consultent. Cela peut rendre le diagnostic difficile et pénaliser la mise en place d'un traitement.

Que signifie le terme dépression masquée ?
Dans certaines situations, ou en fonction des modalités de défense psychologiques utilisées par la personne, celle-ci peut "présenter" ses symptômes de façon paradoxale, "masquée". Par exemple, elle peut sourire tout le temps alors qu'elle ressent en fait une grande souffrance.
Il peut également y avoir des réactions impulsives, voire agressives, en lieu et place du ralentissement psychomoteur attendu. Ces réactions (irritabilité, colères inappropriées...) sont plus fréquentes dans la dépression "masculine". Tout ceci peut rendre la dépression moins "visible", la "masquer".

La dépression est-elle innée ou due à l'environnement psycho-socio-affectif du déprimé ?
La dépression est un trouble qui implique toujours des causes multiples : psychologiques, sociales et biologiques. La dépression n'est pas innée et elle n'est pas non plus d'origine génétique, même si certaines études récentes mettent en évidence certains facteurs de vulnérabilité biologiques, mais qui ne déterminent jamais l'occurrence d'une dépression de façon systématique. Le fonctionnement psychologique (lui-même ancré dans l'histoire singulière de la personne) et les relations avec la situation dans laquelle vit cette personne (situations de stress chroniques ou traumatismes par exemple) jouent un rôle essentiel dans la constitution d'une dépression. Une fois "déclarée", la dépression a cependant de multiples composantes biologiques.
 

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Xavier Briffault. © DR

Peut-on occasionnellement ressentir un ou plusieurs de ces symptômes sans être dépressif ?
Oui, ressentir occasionnellement et pour de courtes périodes, de la fatigue, du découragement, voire du désespoir, une perte de motivation, fait partie de la vie et ne signifie pas que l'on soit dépressif. Par ailleurs, certains symptômes de la dépression peuvent se retrouver dans d'autres troubles (anxiété par exemple), voire dans certaines maladies somatiques. Un diagnostic précis est donc très important.
 

Quand on a déjà été dépressif, l'est-on toute sa vie, du moins cela nous poursuit-il ?
Non. La dépression n'est pas une fatalité. Cependant, il est vrai que la récurrence (plusieurs épisodes de dépression) et la chronicisation (un épisode qui dure longtemps, plus de 2 ans par exemple) peuvent toucher près de la moitié des personnes atteintes. C'est la raison pour laquelle la détection précoce et la mise en oeuvre rapide d'un traitement adapté sont essentiels pour limiter ces risques de récidive.


Quelques conseils pour la voir arriver et la prévenir ? On glisse de façon assez sournoise dans la dépression et c'est très dur d'en sortir.
La dépression engendre une souffrance psychologique qui peut être particulièrement intense et elle atteint la motivation elle-même. Par ailleurs, la vision pessimiste de soi du monde et de l'avenir fait partie des symptômes de la dépression elle-même. C'est ce qui la rend particulièrement pernicieuse.
Savoir que dans un état dépressif on a toujours une évaluation de la réalité qui est "tirée" vers le négatif peut aider à réajuster son appréciation de la situation et de son pronostic dans une direction plus positive.
Pour ce qui est des signes précoces (les "prodromes"), les perturbations du sommeil sont l'un des signes importants. Une insomnie, en particulier une insomnie de fin de nuit (se réveiller à 4 heures du matin avec une angoisse importante) par exemple, est un signe qui doit alerter.
Présenter des ruminations excessives (penser de plus en plus à la mort, à un avenir négatif), se sentir impuissant et sans capacité d'action sur son avenir, avoir de plus en plus de mal à se concentrer et à prendre des décisions... Tout ceci doit alerter.

Il est important de prendre soin de soi en tant qu'aidant

Que faut-il dire quand un dépressif n'a envie de rien, qu'il est triste... Quels sont les bons mots ?
Une personne dépressive se sent rapidement coupée de son environnement et des autres, isolée et incomprise. Cela fait partie des mécanismes de la dépression elle-même.
Le rôle des proches est particulièrement important pour que, malgré cela, la personne dépressive continue à se sentir soutenue et qu'elle sente que ses proches ne vont pas l'abandonner. Il y a dans certaines formes de dépression des composantes "anaclitiques", c'est-à-dire qui sont liées au fait de s'appuyer sur les relations avec autrui. Il est important que la personne dépressive sente que cet appui va rester présent.
Pousser une personne dépressive à "se bouger", à "prendre sur elle" pire, l'accuser de simuler, de tirer profit de son état, d'être "nulle", "incapable", "paresseuse" est extrêmement contre-productif.
L'écoute, l'accueil de la souffrance, le fait d'être présent et "contenant", l'accompagnement de la personne, la douceur de l'accueil, le respect des rythmes et dans le même temps la stimulation légère, la proposition d'activités adaptées peuvent aider.
Il est également important de prendre soin de soi en tant qu'aidant. La dépression n'est pas "contagieuse", mais il peut y avoir des moments difficiles à vivre. C'est aussi dans ces moments-là qu'il faut réassurer la personne dépressive de sa présence et de son soutien. Dans les moments moins difficiles, il est bon de conserver une vie personnelle et des intérêts propres.
 

Comment réagir face à quelqu'un qui aurait une attitude suicidaire ?
Le suicide n'est le plus souvent pas une volonté de mourir. C'est une volonté d'arrêter la souffrance, parce qu'on ne trouve pas d'autres solutions. Le suicide, c'est "l'impossibilité de supporter la minute qui vient". Tout ce qui vient soulager cette souffrance contribue à diminuer le risque de passage à l'acte. Parler à la personne de ces pensées suicidaires, lui demander si elle en a fréquemment, si elle a déjà fait des plans de suicide est, contrairement à une opinion commune, utile. Parler de suicide avec une personne suicidaire ne génère pas d'actes suicidaires. Au contraire, cela permet à la personne de comprendre que quelqu'un entend l'intensité de sa souffrance et peut rester présent même lorsqu'elle l'exprime à son intensité maximale, le désir d'en finir.
Lorsqu'une personne est dans un état suicidaire, il est bon également qu'elle n'ait pas d'accès à des moyens létaux (médicaments, armes...). Dans tous les cas, consulter un professionnel de santé est nécessaire. Il est possible de recourir aux urgences de tout hôpital, même général, voire de faire appel aux pompiers (18) ou au Samu (15) si la personne aidante se sent dépassée.
 

La question des psy

Doit-on forcement passer par un psychologue quand on est dépressif ?
La psychothérapie est l'un des traitements validés de la dépression. Elle doit accompagner tout traitement, et en particulier tout traitement pharmacologique. La seule prescription d'un traitement médicamenteux sans accompagnement psychothérapeutique n'est pas un traitement approprié de la dépression.
Les psychothérapies doivent être mises en oeuvre par des professionnels spécialement formés à cet effet.


Comment choisir son praticien et surtout vers qui se diriger ? Psychiatre, psychologue, psychanalyste... On ne sait plus qui fait quoi !
Il est vrai que la situation est complexe, voire confuse en France.
Cinq types de professionnels sont impliqués dans la prise en charge des problèmes de santé mentale : les médecins généralistes (environ 80 000 en France) sont souvent le premier accès. Les psychiatres (environ 11 000, dont environ la moitié en pratique libérale) sont des médecins spécialisés en santé mentale. Les psychologues ont un Bac + 5 en psychologie et peuvent mettre en oeuvre des psychothérapies, mais pas prescrire des médicaments. Ces trois titres sont réglementés et les formations sont définies par l'université. Deux autres types de professionnels interviennent pour proposer des psychothérapies : les psychothérapeutes, ni psychologues ni médecins, et les psychanalystes, ni psychologues ni médecins. Ils sont formés dans des instituts privés, dans le contrôle desquels l'Etat n'intervient pas. L'usage des titres de psychothérapeute ou de psychanalyste n'est pas réglementé et peut donc être utilisé par des personnes de formations diverses.
Il importe, lorsqu'on consulte un professionnel, de se renseigner sur les formations qu'il a suivies. Lors des premières séances, tout professionnel se doit de fournir au patient toutes les informations sur ces points. N'hésitez donc pas à poser toutes les questions qui vous préoccupent. Si le professionnel refuse d'y répondre, il semble préférable de ne pas poursuivre la relation thérapeutique.

Les antidépresseurs


Pensez-vous que les généralistes doivent continuer à prescrire des antidépresseurs ?
Les antidépresseurs sont des molécules dont les indications sont précises et dont l'usage requiert une compétence spécifique. Ils ne sont pas indiqués dans toutes les situations de dépressions et leur prescription en dehors d'un trouble caractérisé est inutile, inefficace et peut être néfaste.
Toute prescription d'antidépresseurs doit être accompagnée d'une information approfondie du patient sur le rôle du médicament, les mécanismes et délais d'actions, les effets secondaires possibles et les moyens d'y pallier, la durée du traitement et le profil attendu d'évolution des symptômes.
Lors de l'initiation d'un traitement antidépresseur, des consultations rapprochées avec un professionnel de santé mentale (hebdomadaires, voire plurihebdomadaires) sont nécessaires. C'est en effet durant les premières semaines que les risques d'effets secondaires sont maximaux, ainsi que les risques suicidaires. Le professionnel que vous consultez doit vous proposer ce dispositif d'accompagnement.

Les antidépresseurs ont-ils des effets secondaires sur le long terme (plus de 10 ans) ?
Il est rare d'avoir à prendre des antidépresseurs durant plus de 10 ans. Un traitement bien conduit doit conduire à une rémission complète des symptômes. Lorsque cela ne peut être obtenu, ou qu'il y a des récidives, il peut être utile de reconsidérer le traitement afin d'en améliorer l'efficacité.
Des études en nombre de plus en plus important montrent que la dépression a des effets neurotoxiques (sur l'hippocampe -mémoire- par exemple) et que les antidépresseurs ont des effets neuroprotecteurs contre cette toxicité et qu'ils peuvent restaurer la neuroplasticité (nouvelles connexions neuronales répondant aux évolutions de l'environnement) altérée par la dépression.
Cependant, ils ne sont pas les moyens permettant de restaurer cela et leur durée d'usage doit être limitée à la période dépressive.

Xavier Briffault : Pour approfondir, n'hésitez pas à consulter le site mis en place par l'Inpes . Un guide d'information peut être téléchargé ou commandé gratuitement sur ce site.