Pourquoi la loi Evin est-elle menacée avec l'alcool ?

Un amendement à la loi Macron prévoit un assouplissement de l'encadrement de la publicité pour l'alcool. L’Institut national du cancer rappelle ce matin que l’alcool est le deuxième facteur de risque évitable de cancers.

Pourquoi la loi Evin est-elle menacée avec l'alcool ?
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C’est aujourd’hui que les députés examinent, en commission spéciale de l'Assemblée nationale, un amendement de la loi Macron destiné à modifier la loi Evin. Cette loi, avait été voté en 1991, afin d’encadrer la consommation de tabac et d’alcool en France. 

Pour rappel, la loi Evin c’est… Côté tabac : l’interdiction de fumer dans certains lieux publics et sur le lieu de travail, l’interdiction de la publicité, l’arrivée de la fameuse mention " nuit gravement à la santé ", l’augmentation des prix et l’interdiction de vente du tabac aux moins de 18 ans. Côté alcool, la loi Evin est plus souple : elle encadre la publicité mais ne l’interdit pas. Aussi, la publicité demeure présente sur les affiches, dans les magazines, mais aussi sur Internet. Seule condition, l’apposition de la mention "l’abus d’alcool et dangereux pour la santé". Toutefois, la publicité est interdite à la télévision et au cinéma, mais aussi dans le cadre de manifestations destinées aux jeunes.

Objectif de l’amendement : faciliter la publicité sur l’alcool. Dès lundi, Claude Evin, ancien ministre de la Santé sous Rocard, et père de la loi du même nom, avait vivement réagit dans les colonnes du Parisien. Selon lui, ce petit amendement pourrait avoir des conséquences dramatiques, du fait qu'il "libèrera de facto la possibilité de faire de la publicité en faveur de l’alcool, et ce quasiment sans limite". Avant de dénoncer le "puissant lobby des publicitaires aujourd’hui à la manœuvre". L'amendement, porté par le sénateur du parti Les Républicains – et ancien viticulteur – Gérard César, vise en effet à revoir la loi Evin, "devenue source d'insécurité juridique, et donc de complexité". 

Interrogée lundi matin par l'AFP, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, n'a pas hésité à prendre position contre l'amendement, au même titre que le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll. "Je veux dire mon incompréhension et ma préoccupation face à l'amendement qui remet en cause la loi Evin", a déclaré la ministre, pour qui "le débat a eu lieu, dans le cadre de la loi de modernisation de notre système de santé, entre ceux qui souhaitaient durcir et ceux qui souhaitaient assouplir la loi Evin." Avant d'ajouter que "la loi Macron ne peut pas servir à détricoter les politiques de santé publique". Et de conclure : "J'appelle chacun à prendre ses responsabilités, c'est-à-dire à ne pas changer la loi".

La Présidente de l’Inca réagit. Ce mercredi matin, Agnès Buzyn, interrogée sur Europe 1, est également montée au créneau. "L’alcool est nocif pour la santé : il cause 40 000 décès par an, dont 15 000 par cancers et c’est la deuxième cause de mortalité par cancer dans notre pays", a-t-elle rappelé. Avant de déclarer : "les députés doivent prendre leurs responsabilités [...] qu’ils s’intéressent aux personnes qui vivent avec une personne alcoolique ou qui perdent un enfant."

Dans le même temps, l’Inca publiait sur son site une fiche expliquant les dangers pour la santé de la consommation d’alcool, qui représente la deuxième cause évitable de mortalité par cancer après le tabac en France selon l’OMS.

Le triomphe d'un lobby. La semaine dernière, des associations de santé publique s’étaient mobilisées pour "sauver la loi Evin", en adressant un courrier aux députés chargés d’examiner le texte de la loi Macron, afin de leur demander son retrait. Voici un extrait de lettre adressée aux députés : "Cet amendement apparemment simple, adopté contre l’avis du gouvernement, complexifiera la loi d’une manière telle qu’elle deviendra inapplicable et la videra de sa substance en ouvrant aux alcools tout le champ de la promotion et de la publicité indirecte. Cette initiative est d'autant plus scandaleuse que les dépenses de publicité pour les boissons alcoolisées n'ont cessé de croitre pour atteindre 460 millions d'euros en 2011, soit bien au-delà des 3,5 millions de crédits consacrés à la prévention en ce domaine. Si la loi Evin était vidée ainsi de son contenu à la veille de son 25ème anniversaire, ce serait un coup bas qui non seulement constituerait une défaite pour la santé publique mais aussi une honte pour notre pays. Le triomphe d'un lobby et de ses relais parlementaires sur une des lois les plus symboliques du courage politique au moment où une loi sur la santé est débattue au parlement resterait comme une tache."

Au-delà de l'amendement, lever un tabou. Mais le fond du problème, c’est que de nombreux Français minimisent les risques liés à la consommation d’alcool. Bien que celle-ci ait baissé ces dernières années (la consommation d'alcool en France était estimée à 11,6 litres d'alcool pur par habitant en 2013, contre 26 litres au début des années 1960), cette consommation demeure néanmoins l'une des plus élevées en Europe et dans le monde, rappelle l’Inca. En outre, les différences hommes/femmes s’effacent et les femmes ayant un niveau d’éducation élevé ont deux fois plus de risques d’avoir une consommation excessive d’alcool que celles qui ont un niveau d’éducation faible. Quant aux plus jeunes, leur consommation, marquée par la recherche d’ivresse, est particulièrement préoccupante.