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Mars 2007
'L'automédication oui pour soigner des symptômes, mais pas pour faire un diagnostic"
Qu'est-ce que l`automédication ? Dr Loïc Etienne : C'est un vaste sujet. En fait l'automédication, c'est d'abord savoir s'alerter quand il le faut ou se rassurer quand c'est possible, et parfois justement... ne pas prendre de médicaments. C'est donc une conduite individuelle, responsable, éclairée (guides, site Internet) pour prendre les médicaments à bon escient.
D'abord il y a un fait, c'est que l'on ne va pas chez le médecin pour le moindre bobo, d'ailleurs il va y avoir de moins en moins de médecins ; ensuite tout le monde s'est toujours automédiqué, le plus souvent en cachette, ce n'est donc que la mise en évidence d'une habitude connue. Enfin, c'est dans le sens des rapports qui ont été rendus à la suite de la Loi du 13 août 2004 : amener les patients à se responsabiliser. N'est-il pas dangereux d'utiliser des médicaments seuls, sans avis médical ? Ce n'est pas dangereux dans la mesure où vous soignez seulement les symptômes et que vous ne cherchez pas à faire votre diagnostic, ce qui est le rôle du médecin. Donc si pensez avoir une grippe, en fait vous avez de la fièvre : à vous de soulager la fièvre avec des médicaments dont on vous aura signalé les risques et effets secondaires, au médecin à faire le diagnostic de grippe. Mais évidemment si vous vous substituez en médecin en faisant vous même le diagnostic de grippe, c'est là où ça devient dangereux car il peut ne pas s'agir de grippe, mais de bien autre chose.
Quelle est la position du gouvernement sur la pratique de
l'automédication du point de vue de la santé publique ?
J'ai déjà répondu à un autre internaute à cette question : l'automédication a toujours existé de façon sauvage, elle doit se développer de façon responsable et encadrée. Attention toutefois avec certains remèdes de grand-mère qui sont parfois de vraies erreurs thérapeutiques. Est-ce que l`homéopathie rentre dans le cadre de l`automédication ? Si on croit à l'homéopathie comme étant une thérapeutique efficace, ciblée et soignant tout un contexte de santé, l'homéopathie ne doit pas être utilisée en automédication. Par contre si on ne croit pas à l'homéopathie, il n'y a aucun risque à en prendre en automédication. Avec la même précision toutefois : l'automédication quelle qu'elle soit, ne doit pas retarder la mise en place d'un vrai traitement, ce qu'on appelle le traitement "étiologique", c'est-à-dire le traitement de la cause. Les médicaments que l'on achète sans ordonnance ne sont-ils pas moins efficaces que ceux prescrits par le médecin ? S'il s'agit de molécules également prescrites par le médecin (exemple : paracétamol etc.), on ne voit pas pourquoi cela aurait moins d`effet, à part bien entendu le fameux effet placebo (si c`est votre médecin qui vous le prescrit, l'efficacité risque d`être meilleure). Et s'il s'agit de molécules que le médecin ne prescrit pas parce que cela ne fait pas partie de la pharmacopée usuelle et reconnue par le corps médical, cela ne marchera que selon la croyance que vous-même accordez à ce médicament, et cela bien sûr à vos risques et périls.... Il est toujours difficile d'obtenir des rendez-vous avec mon médecin. Je prends alors souvent des médicaments qu'il m'a prescrit auparavant. Ces médicaments sont délivrés sur ordonnance mais je connais les effets qu'ils ont sur moi. Est-ce grave de se soigner ainsi ? Non, cela porte un nom : la "remédication" : c'est-à-dire exactement ce que vous décrivez : on vous a fait un diagnostic, on vous a déjà donné un traitement précis pour cela, vous en connaissez les précuations d`emploi et vous reconnaissez avec certitude les signes de la maladie. C'est donc de l'automédication secondaire puisque le diagnostic a déjà été porté. Exemples : certaines cystites à répétition, les coliques néphrétiques, les crises d`asthme, la rhinite allergique, etc. Prendre un comprimé de fer tous les matins, c'est de l'automédication ? Disons que c'est une automédication responsable si ce fer vous a été donné pour une raison précise (exemple anémie hypochrome hyposidérémique). En revanche, c'est une automédication "irresponsable" (sans notion "péjorative" si vous en prenez comme simple complément alimentaire alors que cela ne se justifie pas, car vous risquez alors de surcharger votre foie en fer. Pensez-vous que les sites "santé" sur internet ont un rôle direct dans l'essor de cette pratique ? Ca dépend lesquels....J'en connais de très bons, et d'autres moins... A mon sens, une automédication responsable et encadrée ne peut se faire que si le site possède un système expert capable de faire une sorte de "régulation" et d'évaluation du symptôme et de ses risques. En cas de migraine, est-il bon de se soigner seul ? Très bonne question. Si vous avez une migraine connue et diagnostiquée, prendre les médicaments qu'on vous a prescrits en "remédication" est une très bonne chose (exemple, anti-inflammatoires, ou triptans...). Par contre, si c'est vous qui pensez avoir une migraine alors que vous avez en fait un banal mal de tête qui n'est pas une migraine, vous risquez de faire des dégâts. C'est la différence entre le traitement du symptôme (le mal de tête) et le traitement de la maladie (la migraine). Ne pensez-vous pas que l'industrie pharmaceutique fait tout pour encourager l'automédication ? L'industrie pharmaceutique est là comme toute entreprise pour gagner de l'argent, c'est légitime, pourquoi le leur reprocherait-on ? Ceci d'autant plus que les publicités ne peuvent se faire que sur les produits OTC (over the counter) donc vendus sans ordonnance (exemple ibuprofène), et non sur les médicaments "éthiques" (exemple amoxicilline qui est un antibiotique). En informant le public sur les produits sans ordonnance, ils participent donc à l'amélioration de l'automédication. Cela dit, certains médicaments que je ne citerai pas, sont sans aucun effet thérapeutique réel reconnu, ont souvent été déremboursés pour cela, et sont donc des produits de consommation qui ne sont pas des médicaments au sens propre. La publicité sur ces produits ne rentre donc pas dans le cadre de l'automédication et constitue des pratiques que l'on peut en effet trouver... limite. Prendre des médicaments seul nécessite d'être informé de certains effets indésirables (effets de l'alcool, effet au volant, interactions médicaments ). Ces messages ne sont-ils pas mieux compris lorsque c'est un médecin qui informe son patient ? Oui et non. C'est mieux si c'est le médecin qui le fait (et qui prend le temps de le faire, ce qui n'est pas toujours le cas) et s'il sait transmettre ce message qui n'est pas toujours facile à transmettre. C'est moins bien si le médecin n'a pas le temps, pas l'envie ou pas l'habitude de communiquer là-dessus, et dans ce cas, un non médecin, sous le contrôle d'instances médicales peut donner des informations. Toutefois il y a des limites, et c'est souvent là où les erreurs peuvent se former. Donc d'une manière générale, je pense que l'information pour être la plus exhaustive possible, et la plus sûre, doit être délivrée par un médecin ou sous le contrôle d'un médecin.
Avec 10 médicaments, on se tire d'à peu près toutes les situations : un antidouleur et antifièvre (paracétamol essentiellement), un antispasmodique (phosphoglucirinol), un antidiarrhéique, un antiémétique, un antiseptique local non coloré, un antihistaminique en pommade, voire en comprimé. A cela on peut le cas échéant, en réserve avoir un anxiolytique sous la main, un corticoïde en gouttes pour les enfants (laryngite). Et puis le reste en fonction de votre pathologie éventuelle (asthme, problème cardiaque, etc.). J'ai laissé trainé un rhume cet hiver, en prenant seul quelques médicaments. Résultat, j'ai eu une infection pulmonaire, et j'ai même fait un passage aux urgences L'automédication a ses limites, non ? En fait vous n'avez pas fait d'automédication : vous avez fait, si je puis me permettre au moins 3 erreurs : d'abord vous avez pris des médicaments qui ne se sont pas révélés efficaces ; ensuite vous avez laissé traîner plus de 2 jours ; et ensuite vous n'avez pas vu de médecin en temps et en heure. Cela ne s'appelle pas de l'automédication, c`est de la mauvaise médication non médicalisée. Ce qu`il aurait fallu faire, c'était, vous laver le nez avec du sérum physiologique, surveiller la fièvre et au bout de 3 jours sans effet, de voir le médecin, qui lui aurait pris le problème en main. Désolé d'être un peu abrupt... N'est-ce pas tant l'automédication qui pose problème que l'auto-diagnostic, justement grâce à ces sites de santé ? Bravo ! on ne peut pas faire d'autodiagnostic. Le seul qui peut faire un diagnostic, c'est le médecin. Si vous allez sur un site de santé, vous devez d'abord vous demander s'il a été fait par des médecins, s'il est animé par des médecins, et s'il possède le label HON (Health On the Net). Si c'est le cas, vous avez des chances de ne pas faire d'erreur, mais comme je l'ai dit plus haut, évaluer la gravité d'une situation, comme le fait le médecin régulateur du samu en vous posant des questions par téléphone, nécessite un système expert ou si ce n'est pas le cas la présence physique en temps réel d'un médecin qui modère les demandes. Si vous respectez ces règles simples, il n'y a pas de risque à l'automédication. L'automédication ne peut-elle pas provoquer des dépendances à certains médicaments ? Vu le type de médicaments qui sont utilisables en automédication, ce risque est absolument exclu. De plus, l'automédication signifie 2 ou 3 jours de traitement pas plus, donc risque de dépendance impossible. Certains pays préconisent carrément l'automédication aux populations, pour faire faire des économies à la société. que pensez-vous de cette pratique ? Si le gouvernement a demandé un rapport sur l'automédication, c'est en partie pour cela. Il est clair, et je milite personnellement pour cela depuis 20 ans, que si l'automédication est encadrée et limitée au cadre que j'ai esquissé plus haut, on ne peut que diminuer des consultations inutiles et au contraire provoquer des consultations qui auraient du exister (cf. la question sur la personne qui a eu un rhume qui a dégénéré en pneumopathie). Certains pays ... avancés ont depuis longtemps compris que des économies importantes sont générées par la modifidication des comportements. L'automédication fait partie de la modification de ces comportements. Et c'est à mon avis une bonne chose. Dr Loïc Etienne : Merci pour toutes ces questions véritablement très pertinentes et qui permettent de faire un tour d'horizon judicieux sur ce qu`est l'automédication. En conclusion, l'automédication, c'est savoir reconnaître les signes d'alerte, prendre des médicaments à bon escient, et savoir quand il est nécessaire de consulter le médecin
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