Celle qui veut faire reculer le cancer

Patrizia Paterlini-Brechot publie "Tuer le cancer" aux éditions Stock. Son pari ? Détecter précocement le cancer par simple prise de sang. Entretien.

Celle qui veut faire reculer le cancer
© "Tuer le cancer", éditions Stock
Oncologue, hématologue, mais aussi chercheuse et professeur à la faculté de médecine Necker Enfants Malades, Patrizia Paterlini-Brechot raconte dans son livre "Tuer le cancer", paru ce 18 janvier aux éditions Stock, son chemin personnel pour traquer l'ennemi invisible. Son constat, c'est que si le cancer tue, c'est parce que nous lui laissons le temps de s'installer et de se renforcer jusqu'à en devenir invincible. C'est pourquoi, les efforts doivent, selon elle, porter sur le diagnostic précoce. 
 
Un tueur longtemps invisible. Le cancer est foudroyant quand il est diagnostiqué au stade métastasique avancé, un stade où le cancer a la capacité de faire des métastases. Mais, il n'est pas né comme cela, souligne Patrizia Paterlini-Brechot. "Il a évolué en souterrain pendant plusieurs années, sans que l'on ne voit rien. Et c'est cela que l'on peut combattre." Sa vision imagée du cancer est d'ailleurs celle d'ivrognes, mal en point, titubant pendant des années dans un état comateux, jusqu'à former un groupe d'ivrognes, plus ou moins robustes, mais capables de marcher sans tomber. Et avec le temps, explique-t-elle, "il y en aura forcément un qui sera suffisamment fou, fort et méchant pour nous attaquer." L'espoir, c'est d'intervenir dans cette fenêtre temporelle, avant le stade métastatique. En détectant précocement ces cellules (cellules tumorales circulantes) qui se détachent de la tumeur pour gagner la circulation sanguine, on peut bloquer la formation des métastases. "Il s'agit de détecter l'invasion tumorale, c'est-à-dire le processus par lequel le cancer tue. En somme, de combattre le cancer quand il n'est pas encore installé dans l'organisme. C'est une avancée majeure !", s'enthousiasme la chercheuse.
 
© Editions Stock
Le combat d'une femme. Au départ, rien ne destinait cette italienne, originaire d'Emilie-Romagne, à mener ce combat. Surtout à une époque où il semblait impossible pour une femme de mener une carrière de médecin universitaire. Pourtant, c'est au cours de ses études médicales, alors qu'elle est interne en oncologie, qu'elle a un déclic. "J'ai été choquée par l'inefficacité de la médecine pour soigner la douleur et pour améliorer le bien-être des patients. Dans son livre, elle raconte notamment sa rencontre avec celui qu'elle appelle le "patient O". Atteint d'un cancer du pancréas métastatique à un stade avancé, ce jeune malade est surtout terrorisé à l'idée de se savoir condamné et impuissant face à la maladie. J'étais face à un paradoxe : comment était-il possible que la médecine se trouve à ce point désarmée alors qu'elle est censée apporter le soulagement et améliorer le confort des patients. Face à cela, j'avais deux choix : soit jeter l'éponge, soit aller au bout du combat… J'ai choisi la deuxième option !"
Quelques années plus tard, alors que la biologie moléculaire se développe, elle quitte tout et rejoint un laboratoire de recherche en France dirigé par le Pr Bréchot, son futur mari et père de ses enfants. Elle travaille sans relâche, telle une détective, avec une seule idée en tête : traquer son ennemi. Comment concilier dans ces conditions, vie professionnelle et vie de femme ? "En réalité, il faut dire qu'il est difficile de gérer tout cela à la fois, mais quand on est porté par une cause comme la mienne, quand on travaille dans le but d'aider, dans mon cas de guérir, alors c'est possible. Je suis même convaincue que la gestion de la vie familiale est plus difficile que celle d'un projet de recherche ! Plus généralement, je pense que ce qui est important pour les femmes d'aujourd'hui, c'est d'être porté par une cause ou un projet quel qu'il soit. C'est cela qui est important pour les relations conjugales, familiales, c'est une vraie aide, tout part de là !"
 
Le test de l'espoir. Malgré les doutes, les impasses, un horizon parfois incertain, cette travailleuse obstinée ne lâche rien, pendant des années. Avec son équipe, elle finit par mettre au point une technique scientifique qui change sa vie. Le test ISET (Isolation by Size of Epithelial Tumor cells​) permet ainsi d'isoler les cellules tumorales circulantes. "A partir de seulement 10 mL de sang, contenant quelques 10​0​ millions de globules blancs et 50 milliards de globules rouges, la machine est capable d'isoler une unique cellule tumorale sans l'endommager. C'est vraiment incroyable, c'est comme de chercher 1 personne parmi 10 planètes Terre !". En somme, le test fonctionne comme une passoire qui filtre le sang pour éliminer les cellules sanguines et retenir les cellules tumorales, plus larges, sans en perdre une seule. 
Le test est commercialisé aujourd'hui pour les patients déjà diagnostiqués pour un cancer solide. Encore peu connu, il peut notamment être utile pour affiner un traitement. Son prix est de 4​86​ euros, mais il n'est pas, pour l'heure, remboursé. "Les médecins sont ouverts pour utiliser le test pour mieux soigner les patients. Mais faire bouger les codes de la médecine prend du temps et c'est très coûteux. Aux Etats-Unis, on sent qu'il y a aussi un réel intérêt de la population pour les approches de médecine personnalisée. En France, nous en sommes au tout début.."
 
Détecter le cancer par prise de sang ? L'étape suivante, c'est évidemment de disposer d'un test préventif chez des personnes non malades. L'idée serait de pouvoir, par une simple prise de sang, détecter les cellules tumorales dans le sang le plus précocement possible avant que l'imagerie ne puisse détecter le cancer, afin de pouvoir le traiter au plus tôt. Reste que pour l'instant, si on sait identifier une cellule tumorale, on ne peut pas savoir de quel organe elle provient. "Mais c'est un premier pas et c'est la première fois que l'on s'engage dans ce chemin. Et c'est l'espoir de demain !"
Une étude indépendante, pilotée par le Pr Hofman au CHU de Nice a d'ores et déjà testé cette méthode sur 168 patients à risque de développer un cancer du poumon. Suivis pendant 6 ans, ils ont fait ​le test ISET et la surveillance par scanner chaque année. Pour cinq d'entre eux, le test a ​montré​ des cellules tumorales circulantes​ de 1 à 4 ans avant que le scanner détecte le nodule tumoral.​ Résultat : ​le cancer​ a pu être ​opéré​ ​très ​précocement grâce à ce suivi​​. Pour confirmer ce résultat, d'autres études sont en cours, ​soutenues​ par des financements publics. "L'essai clinique est multi-centrique et sur un plus grand nombre de patients (600 à Nice, 300 à Paris). Les résultats sont attendus dans les 5 années à venir", précise le Pr Paterlini-Brechot. On les attend avec impatience !
 
 
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