Retour des méthodes contraceptives naturelles : "C'est loin d'être un progrès pour les femmes"

Selon une récente enquête sur la contraception, les françaises ont tendance à délaisser la pilule. Place désormais au stérilet mais aussi aux méthodes dites naturelles. Le Dr Laurence Quentel-Archier commente cette évolution du paysage contraceptif.

Retour des méthodes contraceptives naturelles : "C'est loin d'être un progrès pour les femmes"
© Dalaprod - Fotolia.com

Un an et demi après le scandale des pilules de troisième et quatrième générations, le constat dressé conjointement par l'Institut national d'études démographiques (Ined) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) est sans appel : les pilules sont de plus en plus délaissées par les Françaises. Le recours à la pilule a diminué, passant de 50 % en 2010 à 41 % en 2013 et près d'une femme sur cinq affirme avoir changé de méthode contraceptive depuis 2010.

Le Dr Laurence Quentel-Archier est gynécologue médicale au Centre d'orthogénie et de planification familiale de Port-Royal et Vice-Présidente de l'Association Française pour la Contraception. Elle commente les principaux résultats de cette enquête.

Que pensez-vous des conclusions de l'enquête Fécond ?
Dr Laurence Quentel-Archier : La précédente enquête Fécond publiée en 2010, avait révélé un paysage contraceptif figé en France. Globalement, les femmes utilisaient plutôt le préservatif au début de leur vie sexuelle, puis elles se tournaient vers la pilule quand elles avaient des relations stables et choisissaient le stérilet une fois qu'elles avaient eu des enfants. Ce schéma qui laissait une grande place à la pilule était déjà critiqué par certains.
Aujourd'hui, on observe un net recul du recours à la pilule avec un report vers le stérilet (+1,9 %) et le préservatif (+3,2 %). Mais le principal problème, c'est que les méthodes dites naturelles, comme le retrait ou le calcul de la date de l'ovulation progressent de 3,4 %, alors que ce ne sont pas des méthodes fiables. Et cela c'est loin d'être un progrès pour les femmes et pour le nombre de grossesses non désirées...

Justement, cette reconfiguration du paysage contraceptif peut-t-elle s'accompagner d'une hausse des IVG ? 
D'après les chiffres dont on disposait en juin 2013, le nombre d'IVG est stable. Mais il peut y avoir un décalage avant qu'on n'observe une éventuelle progression. Et avec le retour de ces méthodes contraceptives peu fiables, je me pose effectivement des questions.

Quelles sont les femmes qui se tournent vers ces méthodes peu fiables ?
Il s'agit majoritairement des femmes en situation précaire. Le rapport Fécond montre notamment que les femmes nées dans un pays d'Afrique subsaharienne ont fortement réduit leur usage des pilules (- 39 %) pour se tourner vers ces méthodes dites naturelles : 26 % d'entre elles les utilisent en 2013, alors qu'elles n'étaient que 5 % en 2010. C'est très inquiétant.

Peut-on parler de désaffection pour la pilule ?
La pilule reste une excellente méthode mais son image est clairement ternie et c'est dommage. L'enquête Fécond montre qu'en 2010, 44 % des femmes étaient tout à fait d'accord avec l'idée selon laquelle "la pilule permet aux femmes d'avoir une vie sexuelle plus épanouie", alors qu'en 2013, elles ne sont plus que 37 %. Et cela est encore plus marqué chez les jeunes filles qui partagent encore moins cette idée.
Je précise que l'image de la pilule s'était déjà dégradée avant la crise liée aux pilules de 3e et 4e génération. En effet, on observait déjà un phénomène de rejet des hormones en général. Et bien sûr, cette crise a encore altéré davantage la confiance des femmes envers la pilule.

Aujourd'hui, la contraception n'est donc plus vécue comme une chance, mais plutôt comme une contrainte...
Il est évident que les femmes des jeunes générations n'ont pas connu les combats pour l'accès à la contraception. Elles n'ont pas connu non plus les grossesses non désirées, les avortements clandestins et les femmes qui en mouraient et il faut s'en réjouir...  
Aujourd'hui, il me semble que les femmes doivent s'approprier leur contraception et davantage s'intéresser à ses effets positifs. Dans le cas de la pilule, elle évite les règles douloureuses ou abondantes et diminue de 50 % le risque de cancer des ovaires. De même on a beaucoup parlé du risque de thrombose veineuse, qui certes existe, mais qui est finalement très rare.  

Les femmes sont aujourd'hui plus nombreuses à utiliser le stérilet. C'est une bonne nouvelle ?
Oui le stérilet est une méthode contraceptive très efficace, mais ce n'est pas une méthode qui convient forcément à toutes les femmes. Il faut aller plus loin et globalement je trouve qu'il faut élargir les choix contraceptifs afin que chaque femme puisse trouver celle qui lui convient selon son âge, son mode de vie, selon sa personnalité ou encore sa position vis-à-vis d'un échec de contraception. Est-ce qu'elle veut conserver ses règles ? Est-ce qu'au contraire elle a des règles douloureuses ? ... Tout cela doit être pris en compte. 
De plus, il est important d'informer les femmes sur l'efficacité des contraceptions. On parle souvent de la pilule comme une contraception efficace à quasiment 100 % alors qu'en réalité son efficacité réelle est moindre en raison des oublis notamment. Au contraire, le préservatif gagnerait en efficacité contraceptive si on prenait du temps pour expliquer qu'il doit être utilisé quelle que soit la date du rapport dans le cycle.

Si on a autant de mal à diversifier les méthodes contraceptives, n'est-ce pas parce que les médecins eux-mêmes proposent toujours les mêmes contraceptions ?
Il y a en effet encore de grandes réticences de la part du milieu médical. Certains professionnels pensent encore que le stérilet ne peut pas être posé chez les femmes qui n'ont jamais eu d'enfants. D'autres se refusent à poser des implants... Donc, oui, il existe de réels freins. En cela, la crise de la pilule aura sans doute eu un effet positif sur les relations entre médecins et patientes. Aujourd'hui, l'interrogatoire médical qui précède la prescription d'une contraception est plus poussé, en particulier pour les antécédents de thrombose. Face aux inquiétudes de leurs patientes, les médecins prennent davantage de temps pour expliquer, pour informer et pour rassurer. De leur côté, les femmes osent davantage exprimer leurs doutes et poser des questions. Cela conduit à un vrai échange et c'est tant mieux !