Attentats : Nous ne sommes pas condamnés à être traumatisés !

Après les attentats, il semble que la consommation d'anxiolytiques soit repartie à la hausse. Hélène Romano fait le point sur les dérives de la psychiatrisation excessive.

Selon l’étude publiée hier par un laboratoire pharmaceutique suite aux demandes inhabituelles de réapprovisionnement des pharmacies, la consommation d’anxiolytiques aurait augmenté, au niveau national, de près de 18 % depuis les attentats. Si ce chiffre mérite d’être confirmé, il n’apparaît pas si surprenant que cela :

Tout d’abord parce que les Français sont des grands consommateurs d'anxiolytiques et les médecins français en prescrivent bien plus que la majorité de leurs collègues européens (jusqu’à cinq fois pus selon les études recensées par certaines études. Ensuite parce que les Français ont été exposés la semaine dernière à un contexte traumatique majeur par la vision sur les chaînes d’information continue de l’exécution en direct d’un policier, puis des assauts meurtriers des forces de l’ordre contre les terroristes.

Cette confrontation à la mort ne pouvait qu’entraîner des réactions inévitables de détresse liées à l’effroi ressenti ; mais dès mercredi 7 janvier et l’attentat contre Charlie Hebdo, les Français ont entendu des responsables politiques et de certains professionnels cette injonction : "n’ayez pas peur ! Vous ne devez pas avoir peur !". Si celle-ci était probablement formulée avec une volonté de rassurer la population, elle a eu tout l’effet contraire : en déniant la réalité des ressentis des Français, ces décideurs leur ont signifié que leurs réactions d’angoisse étaient "anormales". Comment dès lors s’étonner qu’ils aient eu recours massivement à des médicaments ?

Affirmer à une personne vulnérabilisée par un événement traumatique, que ce qu’elle ressenti n’a aucune valeur et qu’elle ne devrait pas le ressentir, c’est lui faire subir une nouvelle violence : celle de l’incompréhension, du jugement culpabilisant, de la désubjectivation déshumanisante : pour se dégager de l’impact traumatique d’une catastrophe, la personne qui y a été exposée doit pouvoir donner du sens à l’intelligible ; elle doit pouvoir se rassurer sur le fait qu’elle est comprise et soutenue. Oui il est adapté d’avoir été terrorisé la semaine dernière ; oui il est adapté que passé le temps du choc, puis celui de l’action (par la marche collective), qu’il y ait une retombée de la pression vécue, se traduisant par des inquiétudes et des peurs inhabituelles. Ces réactions ne sauraient être psychiatrisées alors qu’elles sont des défenses manifestant de la violence de ces événements. Au niveau clinique, les troubles psychotraumatiques sont considérés comme pathologiques lorsqu’ils se manifestent à distance au moins d’un mois des faits et qu’ils durent depuis plus d’un mois ; autrement dit avant le 7 mars, nous ne devrions pas entendre dire que telle ou telle personne présente un état de stress post-traumatique ; c’est un non-sens clinique.

Que des personnes ayant déjà vécu des drames et s’effondrant depuis les attentats en raison des réactivations de ces blessures passées, soient prises en charge psychologiquement est essentiel, mais cela ne signifie pas qu’il faille mettre un "psy" derrière chaque Français avec pour chacun une boite d’anxiolytique.

Face au traumatisme, les études nous montrent qu’un médicament ne saurait être à lui seul suffisant pour surmonter l’horreur. Pour mettre du sens sur l’indicible, pour réhumaniser le monde extérieur suite à l'innommable, les personnes impliquées ont besoin "d’humain", de parole, d’écoute et d’attention ; et ça, aucune petite pilule ne l’a jamais apporté. Quand un médicament s’impose comme seule réponse médicale pour gérer une anxiété adaptée, cela pose la question de la psychiatrisation excessive de toute réaction émotionnelle gênante (pleur, tristesse, agitation, etc.).

En mettant des "cellules psy" à tout va ; en pathologisant des réactions adaptées, les politiques comme les prescripteurs de ces interventions et de ces traitements, déresponsabilisent la population et la condamne au traumatisme. Un événement traumatique (confrontation à la mort) peut donner lieu à un trauma qui est une blessure psychique (les fameux troubles post-traumatiques), mais cela n’est ni systématique, ni inéluctable. Chaque événement de ce type reste potentiellement traumatogène en fonction des ressources antérieures que chaque implique pouvait, avoir mais aussi des ressources qu’il trouvera suite à ce drame. Il y a une vie après l’horreur ; une vie marquée par cette expérience avec la mort ; une vie certaine fois blessée durablement, mais une vie possible…mais pour y accéder encore faut-il que les victimes soient informées de cette possibilité.

  Hélène Romano Dr en psychopathologie, CHU H. Mondor, Créteil. Auteur de "Urgence médico-psychologique" et "l’enfant face au traumatisme" - Dunod.