Dépendance : quand les médicaments sont détournés de leur usage

Certains médicaments sont utilisés de manière détournée comme drogue ou comme stimulant. Quelles sont ces molécules ? Et quels risques entraînent-elles ?

Dépendance : quand les médicaments sont détournés de leur usage
© AntonioDiaz

Du sirop contre la toux pour accentuer l’ivresse, de la codéine pour ressentir euphorie et créativité… L’usage détourné de médicaments à des fins récréatives est répandu, notamment chez les jeunes. Si certains considérés "psychoactifs", car agissant sur le système nerveux central, sont inscrits sur la liste de surveillance des "médicaments à risque d’usage détourné ou de dépendance" de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), d’autres sont accessibles en pharmacie, parfois sans ordonnance.

Codéine ou tramadol : peu importe la molécule, pourvu qu’on ait l’ivresse ?

Parmi les médicaments en libre accès, plusieurs contiennent des dérivés de la morphine, appartenant ainsi à la grande famille des opiacés. C’est le cas de certains sirops contre la toux, pour lesquels l’Ordre des Pharmaciens avait d’ailleurs donné l’alerte en mai dernier. En mélangeant de la limonade, des glaçons et du sirop contre la toux contenant soit du dextrométhorphane (DXM) soit de la codéine, tous deux dérivés de la morphine, les consommateurs du "purple drank" recherchent une ivresse proche de celle de l’alcool, offrant désinhibition, euphorie et hallucinations. Le tout à un coût restreint et facilement accessible. La codéine n’alimente pas que les cocktails au sirop. Utilisée pour ses propriétés antitussives, elle se retrouve aussi en vente libre sous forme de comprimés, associée à des antalgiques pour la prise en charge de douleurs intenses (Codoliprane®, Dafalgan® et Efferalgan® codéinés …) ou sous forme de pastilles contre la toux sèche (Euphon®, Tussipax®…). En moyenne 10 % de la dose absorbée est transformée en morphine au cours de la digestion du médicament : une quantité qui augmente rapidement en additionnant le nombre de comprimés. Ainsi, parmi ces pastilles : le Néo-codion®, récemment utilisé comme substitution aux drogues dures comme l’héroïne par certains toxicomanes. Dans la longue liste des opiacés aux promesses de bien-être, d’euphorie, d’apaisement ou encore de créativité, figure aussi le tramadol (Contramal®, Ixprim®…). Cette molécule analgésique – cette fois-ci disponible uniquement sur ordonnance, et surveillée par l’ANSM – est généralement prescrit contre les douleurs dorsales ou liées aux règles. En association avec une consommation d’alcool, ce médicament entraîne des effets de désinhibition, de détente et d’ivresse.

Entre dépendance et tolérance, les dangers sont multiples.

S’ils inquiètent autant les autorités de santé, c’est qu’utilisés à mauvais escient ou avec abus, ces médicaments représentent un véritable risque de dépendance et d’effets secondaires. Les doses habituellement conseillées par les notices ne sont pas susceptibles de générer une forte dépendance s’ils sont utilisés sur une courte durée, mais leur facilité d’accès permet d’augmenter rapidement et facilement les quantités absorbées. Ainsi, pour la codéine par exemple, selon le site d’espace solidaire entre usagers de drogues Psychoactif, "il existe deux grands groupes d'utilisateurs "abusifs" de la codéine : ceux qui ont utilisé ces produits pour des douleurs et qui continuent la consommation malgré la disparition ou la diminution des douleurs, et ceux qui ont un passé de toxicomanie aux opiacés et utilisent ces produits comme substituts d'autres opiacés." Un arrêt du traitement génèrera alors une sensation de manque, poussant le malade à une reprise de la consommation, comme en témoigne Thierry sur le forum Psychoactif : "J’ai déjà essayé de me sevrer, descendre progressivement les doses, mais non à chaque fois, il faut que je remonte les dosages au bout d’une semaine. […] Au bout de deux jours c’est pas la peine, mal partout, diarrhée et la gerbe, en sueurs en permanence, insomnies, maux de tête." En parallèle de l’acquisition de cette dépendance, des effets secondaires importants communs à toute la famille des opiacés peuvent apparaitre : constipation, somnolence, nausées, vertige, mais aussi insomnie, réaction allergique cutanée, bronchospasme, convulsion et dépression. Autre phénomène fréquent : celui de la tolérance, qui diminue petit à petit les effets conférés par les doses absorbées, poussant le malade à les augmenter progressivement pour ressentir l’effet recherché. Un véritable cercle vicieux, qui accentue d’autant plus la dépendance à la molécule absorbée.

Les stimulants attirent les étudiants et les cadres surmenés.

Outre la consommation d’opiacés pour atteindre l'ivresse et la désinhibition, d'autres médicaments intéressent un public différent pour leurs propriétés de stimulant intellectuel. C’est le cas par exemple du Guronsan®, habituellement prescrit comme traitement d’appoint de la fatigue liée à une maladie. Contenant de la caféine et de la vitamine C, son fort effet excitant en a fait une solution au cœur des intérêts des étudiants en période d’examens et des cadres au travail toujours plus stressant. Autre remède prisé : la Ritaline®. Prescrite contre les troubles de l’hyperactivité (mais initialement développée contre la fatigue chronique et la narcolepsie), elle semble régulièrement être utilisée par les étudiants pour réguler leur attention et leur concentration. Les plus concernés seraient les étudiants en médecine, sensibilisés à la connaissance de ces molécules et ayant souvent accès par leurs aînés à de telles ordonnances. Une fois encore, le risque de dépendance à ces molécules est accru. De ces deux médicaments, seule la Ritaline® figure actuellement sur la liste des médicaments à risque d’usage détourné de l’ANSM.

Médicaments détournés : quand les médecins s’en mêlent.

À l’instar de la Ritaline®, il n’est pas rare que des médicaments conçus initialement pour une pathologie soient finalement prescrits pour une autre. Concernant la Ritaline®, ces prescriptions sont encadrées et inscrites aux Autorisations de Mises sur le Marché (AMM). Mais ce n’est pas toujours le cas. Certaines prescriptions, par les médecins eux-mêmes, ont lieu en dehors du cadre des AMM. Récemment, le scandale du Médiator® illustre ces mésusages : fabriqué initialement contre le diabète, ce médicament a été prescrit comme coupe-faim pour perdre du poids, malgré le risque de dysfonctionnement des valves cardiaques lié à la molécule.

Autre exemple, le Baclofène® possède une AMM depuis 40 ans pour son usage en décontractant musculaire, dans le traitement de pathologies telles que la sclérose en plaques ou des lésions de la moelle épinière. Mais son usage est détourné depuis quelques années pour soigner des patients alcooliques. Ainsi, le médicament a été délivré officieusement à près de 50 000 patients alcooliques en France et donc dans l'illégalité (hors AMM) par environ 7000 médecins en France. Jusqu'à ce que l'Agence du médicament donne son feu vert en mars 2014 pour autoriser sa prescription dans le cadre de l'aide au sevrage des patients dépendants à l'alcool. Ainsi, ce médicament dispose aujourd'hui d'une Recommandation Temporaire d'Utilisation (RTU) délivrée par l'ANSM pour trois ans, le temps de préciser les modalités de prescription et les éventuels effets secondaires.

Lorsqu'ils disposent d'une RTU ou d'un élargissement de l'AMM, ces prescriptions sont fréquentes et s'inscrivent dans un cadre légal. Cependant, des prescriptions hors AMM, influencées par exemple par des bons résultats observés en essais cliniques, engagent la responsabilité du médecin prescripteur, qui doit informer les patients sur les risques encourus et sur les alternatives qui existent.

Des médicaments pointés du doigt pour un meilleur suivi.

Figurer sur la liste des médicaments à risque d’usage détourné ou de dépendance, pourquoi pas, mais concrètement, comment agit l’ANSM ? En prévoyant des encadrements stricts des prescriptions et des délivrances. Par exemple, pour certaines de ces substances, seule une ordonnance originale de moins d’un an et délivrée par un hôpital, pourra permettre d’obtenir le médicament en pharmacie. Dans certains cas, le médecin doit même inscrire sur l’ordonnance le nom de l’officine qui délivrera la prescription. Par ailleurs, l’ANSM organise chaque année à l’échelle nationale un suivi de pharmacovigilance qui permet de recenser les effets indésirables signalés aux médecins, de mettre en place des études d’analyse des risques, d’appliquer des mesures correctives allant de la restriction d’emploi au retrait du produit, mais aussi de diffuser publiquement les information relatives à la sécurité d’emploi du médicament.